Approche systémique et transformation : manager de transition #2
Pour exercer le métier de manager de transition [1], certaines compétences spécifiques sont requises. Si l’intelligence relationnelle s’avère décisive dans un contexte de transformation, elle doit s’adosser à une approche systémique des situations. De quoi s’agit-il ? Pourquoi la préférer à une vision analytique classique ? Clap de deuxième épisode avec la systémique telle que les managers de transition CAHRA la mettent en œuvre.
Pour comprendre la complexité d’une organisation, l’approche systémique offre une grille de lecture incomparable
Le fonctionnement des organisations a ceci de particulier que la logique mathématique ou cartésienne s’y révèle inopérante. Selon Jean-Louis Picquette, ingénieur de formation et manager de transition CAHRA, « dans ce contexte, toute tentative d’analyse rationnelle produit une distorsion de la réalité, par incompréhension et méconnaissance des attitudes et comportements des collaborateurs, de leur communication et des liens qui existent entre eux ». À l’inverse, l’approche systémique permet à un manager ou manager de transition de « rajouter à la partie émergée de l’iceberg toute la complexité, imperceptible au premier regard ».
Une organisation d’entreprise – et plus largement, humaine – constitue un système, défini comme « un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’un but » par Joël de Rosnay [2]. Ce système se structure autour de processus qui modélisent les flux d’activités réalisées par les équipes. Système et processus ont en commun d’avoir une finalité précise et de mettre en jeu divers éléments en interactions régulières. Au fil du temps, tous deux produisent des écarts par rapport aux attendus initiaux (en raison d’un manque de rigueur dans l’application des consignes, d’évolutions de l’environnement mal intégrées, de collaborateurs insuffisamment formés, etc.).
Le principe d’homéostasie est par ailleurs à l’œuvre dans tout système : celui-ci cherche à conserver une stabilité de fonctionnement [3], à réduire les variations susceptibles de l’affecter.
L’approche systémique, recette-miracle ou posture et savoir-être spécifiques à développer ?
Agir sur l’organisation en s’attachant aux relations entre les éléments sans s’attarder sur ceux-ci, tel est le principe de l’approche systémique. Mais comment cette grille de lecture se traduit-elle sur le terrain ?
- Des échanges avec les collaborateurs sont indispensables, en essayant d’obtenir de leur part de la transparence – afin de saisir tous les tenants et les aboutissants de leur mode de fonctionnement.
- Le manager ou manager de transition s’emploie en parallèle à apporter une réelle vision des écarts entre la théorie et ce qui se produit dans la réalité.
« Si l’on ne travaille pas sur les causes cachées de ce qui dysfonctionne, on peut s’évertuer à corriger ceci ou cela mais on n’atteindra jamais le résultat recherché, souligne Jean-Louis Picquette. »
Cette approche systémique est beaucoup plus facilement intégrée par des managers disposant d’une expérience conséquente – pour arriver à identifier et admettre les divergences entre la théorie et la réalité.
« La partie émergée de l’iceberg est très rapidement appréhendée par un manager expérimenté. En revanche, toute la partie immergée nécessite une grande acuité en termes d’observation et de décryptage des interactions entre les différents éléments du système ». Une posture d’ouverture, des capacités d’écoute et le fait d’être animé par la volonté de comprendre, plutôt que de faire comprendre, sont primordiales. On parle ici de compétences comportementales ou soft skills.
La pratique régulière de feedback fait également partie de l’ossature de l’approche systémique. Une attention particulière doit être portée à la communication non verbale. « Le manager ou manager de transition doit être alerté par le décalage entre ce que l’organisation veut faire apparaître et les messages non verbaux ou non directement exprimés, qui ressortent d’un individu ou d’une organisation ». Une fois que cela a été perçu, il s’agit de faire un retour aux collaborateurs pour travailler dessus, en y consacrant le temps nécessaire.
Comment l’observation des relations révèle les jeux de pouvoir et régulations du système
L’appartenance à une organisation implique une gestion des intérêts personnels, dans le cadre d’’une relation collective. Chaque membre de l’organisation a en effet des enjeux qui lui sont propres.
- Vais-je pouvoir continuer à travailler dans cette entreprise ? Pourrai-je m’y épanouir ?
- Vais-je continuer à avoir du pouvoir ? Mon périmètre de responsabilités va-t-il s’élargir ?
De par son statut, externe à l’organisation et sans avenir au sein de celle-ci, le manager de transition se situe à côté de ces enjeux de pouvoir. Grâce au regard systémique qu’il adopte, il peut les détecter avec davantage d’acuité. Idem au niveau des régulations qui s’opèrent. Exemple : quand l’un des membres d’une équipe adopte une attitude « problématique », il est fréquent que cela serve, paradoxalement, l’équilibre du système. Le manager de transition va chercher à identifier quels sont les bénéficiaires potentiels de ce dysfonctionnement. Il suffit parfois de modifier un élément du contexte pour faire évoluer les comportements.
Lors d’une mission de transition, l’approche systémique s’inscrit dans une logique d’efficacité
L’idée est de « transformer les contraintes en données à traiter, pour obtenir de premiers résultats rapidement [4] » – l’objectif étant d’engager une transformation pérenne. Qu’il s’agisse de management de transition ou de management tout court, « l’approche systémique des problématiques offre aux entreprises des solutions immédiatement exploitables qui répondent à l’accélération générée par le digital, estime le dirigeant-fondateur de CAHRA, Emmanuel Buée. »
Les champs d’application de la démarche systémique sont multiples, de la compréhension du fonctionnement de l’organisation et des processus (déjà évoquée) à l’analyse stratégique ou à l’aide à la prise de décision.
Un exemple avec une mission de transition menée par Jean-Louis Picquette : à la tête d’une petite agence commerciale dont les résultats sont dégradés, il fait face à une situation bloquée. Il réunit alors tous les interlocuteurs manageant cette organisation afin que chacun s’exprime et partage sa vision. Au bout de deux heures d’échanges, tous ont exposé des difficultés humaines ou produits, de rigueur et de manque de professionnalisation dans ce qui est vendu. À l’issue de ces échanges, il reformule ce qu’il a compris du fonctionnement de ce système. « Tout le monde a livré un fil de laine et je me suis contenté d’en faire une pelote. » Quatre points de traitement ayant été identifiés, les décisions correspondantes sont prises. Six mois plus tard, les résultats redeviennent positifs.
Encore trop peu répandue dans les organisations, l’approche systémique permet souvent de débloquer des problématiques nouées depuis plusieurs années. Si les managers de transition CAHRA n’ont pas développé d’outils spécifiques à cet égard, ils adoptent la posture appropriée ; l’approche systémique se vit plus qu’elle ne s’utilise. Quelles autres compétences permettent de mener la transformation avec les équipes en place ? À suivre, #3 !
[1] Dans cette série d’articles, nous explorons le métier de manager de transition tel qu’il est pratiqué chez CAHRA.
[2] Docteur ès Sciences, prospectiviste et auteur.
[3] Pour en savoir plus : plusieurs ouvrages de Michel Raquin, président du Club des Pilotes de Processus, praticien et expert de la démarche de pilotage de la performance par les processus (Processus : ce que font vraiment les dirigeants, éditions Maxima, 2017 ; Règles, métier et processus, éditions L’Harmattan, 2013).
[4] Voir la tribune de Jean-Louis Muller dans L’Express L’Entreprise (expert auprès de l’organisme de formation Cegos, chargé de cours à l’université Paris 9 Dauphine, auteur de nombreux ouvrages).
JEAN-LOUIS PICQUETTE – BIO EXPRESS
Manager de transition CAHRA by H3O depuis 2007, Jean-Louis Picquette est spécialisé dans la Direction générale et industrielle dans les secteurs agroalimentaire et d’équipements pour l’industrie. Ses contextes d’intervention couvrent la vacance de poste, la relance d’organisations, le changement d’actionnariat et la conduite de projets industriels.
Auparavant, il a notamment exercé les fonctions de directeur d’usine et de production (Delacre), de directeur industriel (Sogem) et de directeur général (Gea Matal).