Bienveillance et exigence : combo gagnant pour plus de performance et d’excellence opérationnelle
Ramenons la bienveillance, terme galvaudé et trop souvent confondu avec la complaisance, aux notions de justesse, de justice et d’alignement. Beaucoup affirment que l’entreprise est un lieu de performances, un monde de warriors et non de bisounours. Or, l’entreprise, c’est la vie. L’être humain est un tout : le professionnel est le prolongement de l’individu privé. La juste bienveillance consiste à rassembler notre personnalité pour plus d’authenticité envers soi, envers les autres et envers plus grand que soi. Ni dans la contrainte ni dans la compassion.
Dans cette interview, Thierry Willième, administrateur en entreprise et en Fondations, conférencier et co-Auteur du livre « La Juste Bienveillance » nous explique comment l’exigence et la bienveillance s’allient pour générer performance et excellence opérationnelle.
Qu’est-ce que la juste bienveillance en entreprise ?
La juste bienveillance du dirigeant
Certains historiens reprochent à Léon Blum de ne pas avoir suffisamment armé la France face à la menace allemande. En 1936, au lieu d’octroyer les congés payés, n’aurait-il pas mieux valu protéger la vie des citoyens français ? Bien sûr, cet exemple n’est qu’une image, il ne s’agit pas ici de juger, mais de proposer une analogie. Le chef d’État, comme le chef d’entreprise, doit, avant tout, penser collectif et long terme.
L’entreprise doit préserver et développer l’emploi même si cela implique des mesures difficiles.
Pour ma part, un jour, en période de crise, j’ai mis fin aux cafés offerts à l’ensemble du personnel, car ce budget équivalait au coût de deux emplois et il est du devoir du management de maintenir au mieux les emplois en période de difficultés et d’en créer en période plus faste.
En période de restrictions, il faut savoir se montrer impopulaire. Être bienveillant ce n’est pas chercher à être populaire, c’est trouver la meilleure solution pour le plus grand nombre et sur le long terme. C’est travailler pour l’intérêt le plus général. Dans de telles situations, une bonne communication prend tout son sens.
Dans les grandes crises, le cœur se brise ou se bronze. Honoré de Balzac
La juste bienveillance du manager
À son niveau, le manager porte la même responsabilité que le dirigeant. Le sens de sa mission le guide dans sa bienveillance.
Prenons l’exemple d’un chef des ventes. Si dans l’équipe, un collaborateur ne s’implique pas autant qu’il le devrait, alors le manager doit l’accompagner à trouver sa juste place (repositionnement en interne ou ailleurs).
Ici, le mot juste résonne avec « équité ». Comment l’équipe peut-elle rester motivée si un de ses membres ne joue pas le jeu ? La performance individuelle influence la performance collective. En entreprise, l’intérêt collectif prime. Le manager « veille au bien » le plus élevé.
Comment bienveillance et exigence engendrent performance et excellence opérationnelle ?
En entreprise, la performance se lit à travers quatre axes : l’efficacité, l’efficience, la pertinence et la cohérence. Une entreprise alignée s’assure de l’équilibre de ces quatre leviers. Or atteindre l’excellence passe par l’exigence.
Bienveillance et exigence vont de pair. Amiral Loïc FINAZ
On a trop tendance à opposer excellence/exigence et bienveillance. Chef de guerre ou sergent, chef d’orchestre ou musicien, tous passent par la rigueur, les outils et un entraînement acharné.
Au combat, les soldats doivent veiller les uns sur les autres. Ramener leur équipier en vie fait partie intégrante de leur mission. Ce qui impose un apprentissage très poussé : accomplir encore et encore les gestes précis de protection et de sauvetage pour être en capacité de les exécuter en situation réelle.
Un entraîneur d’une équipe de rugby rappelle l’importance de dire les choses, même dures à entendre.
Comment nous comportons-nous avec nos enfants ? Nous nous montrons exigeants envers eux. Pourquoi ? Car nous les aimons tels qu’ils sont et leur souhaitons de parvenir à leur meilleure version. De là dépend leur bonheur.
De la même manière, le manager accueille chacun de ses collaborateurs avec ses différences et les aide à en faire leurs forces.
Avec de la complaisance et sans exigence, l’entreprise défaille.
Mais si le manager porte son intérêt à la fois sur l’autre et sur l’exigence, alors son équipe génère de la performance sur le long terme.
Un manager aligné, ni dans la contrainte ni dans la complaisance, devient un vrai leader.
Source : La juste bienveillance pour une entreprise alignée de T. Willième, C. Raymond, F. Durnez, A. Varin de la Brunelière
Comment manager avec bienveillance ?
La diversité et l’acceptation de la différence
La différence génère la performance. La bienveillance permet d’aller chercher la richesse
d’une équipe hétérogène. Les études du cabinet McKinsey démontrent que les entreprises qui prennent en compte la diversité dans tous ses aspects peuvent augmenter leur performance financière jusqu’à 35 % par rapport à celles pour lesquelles la diversité n’est pas considérée.
La bienveillance du manager se trouve dans sa capacité de patience et d’écoute pour amener chaque collaborateur au même niveau de compréhension et d’adhésion, en fonction de ses capacités propres.
La force de l’intention pour donner envie et confiance
Face à trop de contraintes, on fuit ou on combat. Face à trop de complaisance, on se laisse aller. L’exemple de l’equicoaching est éloquent. On constate que des managers petits et frêles arrêtent l’animal d’un seul regard tandis que de grands gaillards reculent devant lui. Tout se passe dans la force de l’intention. La congruence, l’alignement, la volonté du cœur montrent la détermination et donnent envie aux autres de nous suivre.
Manager avec bienveillance, c’est donner envie et donner de la vie, de la joie, de l’énergie. À l’image de Pauline, héroïne de La joie de vivre, d’Émile Zola, qui croit en la vie, coûte que coûte, le manager a confiance a priori en ses collaborateurs. Comme pour l’amour, il n’y a pas de confiance, il n’y a que des marques de confiance.
Comment puis-je aider mon collaborateur pour qu’il gagne en confiance en lui ? De nos jours, la confiance intérieure fait de plus en plus défaut dans le monde de l’entreprise. Un bon manager juge les actes en fonction du contexte et des objectifs. Si une équipe commerciale n’atteint pas ses objectifs de vente, est-ce à cause d’une concurrence démesurée ou par manque de travail ?
D’où l’importance de poser des objectifs réalisables.
Ce qui nous amène au courage managérial, en l’occurrence celui de désobéir ou de remettre en cause. La carte n’est pas le territoire, un manager courageux s’adapte.
Il m’est arrivé de prendre à ma charge une partie des objectifs, car je les savais irréalisables pour mon équipe.
L’état de flow de l’équipe
Je me souviens d’une expérience menée avec un coach mental pour sportifs. Uniquement par la discussion, il a su deviner parmi douze collaborateurs d’une même entreprise, qui faisait équipe avec qui. La liberté de parole et l’épanouissement caractérisaient les membres les plus performants (mon équipe).
Il a également identifié une personne qui n’avait pas sa place dans l’organisation.
Comme ce coach, le manager peut utiliser son écoute et son intelligence émotionnelle pour capter l’énergie et mesurer l’état de flow* de son équipe. Équipe, qui soit dit en passant, est à l’image de son manager.
* : état totalement centré sur la motivation et la concentration, où le corps et l’esprit sont pleinement présents.
Le succès n’est pas la clé du bonheur.Le bonheur est la clé du succès. Albert Schweitzer
Comment combiner les processus managériaux et la bienveillance ?
Pour parvenir à un haut niveau d’exigence, voire à l’excellence, les organisations se basent sur des approches et des processus d’agilité ou d’idéation de type Lean, Scrum, Design thinking, etc.
Pour autant, ces outils ne sont pas des solutions. Ils aident à progresser et à accompagner l’équipe dans une méthodologie. L’important n’est pas ce qui ressort de l’outil, mais la décision prise en collectif suite à ce résultat.
La solution se trouve entre ceux qui font et ceux qui décident. La confrontation au réel, aux hommes et aux femmes de terrain permet un jugement et une décision raisonnés.
Ni l’amitié ni l’estime de l’autre n’empêche la confrontation, l’affrontement pour une décision commune. On parle de « confrontation acceptée ». We agree to disagree, disent les anglophones, on s’accorde sur nos désaccords.
Les psychosociologues sont unanimes à ce sujet : confronter les solutions proposées à la réalité amène la performance. On touche la notion d’« attention » chère à Simone Weil qui disait que « l’attention portée avec bienveillance se porte près de là où les choses se font ».
Yves. Clot, psychologue du travail, rappelle que « c’est celui qui fait qui sait ».
Le manager écoute alors le collaborateur « qui fait » et qui veille à ce que son travail soit bien fait.
Comment un manager de transition incarne-t-il la mise en place d’une bienveillance exigeante ?
« Un bon manager est un manager mort ». Cette expression subversive n’est là que pour faire comprendre qu’un bon manager donne ce qu’il peut et ce qu’il sait (en savoir, savoir-faire et savoir-être) à ses collaborateurs. Il leur transmet son expertise, ses bonnes pratiques comportementales, etc. Ainsi, après plusieurs années, lorsqu’il a beaucoup moins à leur transmettre, un successeur peut avantageusement prendre la relève. Ce dernier amène alors un nouveau souffle à l’équipe. C’est une des précieuses valeurs ajoutées du manager de transition.
Avec son regard extérieur, le manager de transition apporte un éclairage neuf, offre de nouvelles connaissances, revoit les habitudes, etc.
Exempt de tout enjeu de carrière, il ose dire les choses telles qu’elles sont. Il est formé pour cela. Si la vérité est blessante, mais énoncée avec bienveillance, alors elle se transforme en opportunité d’évolution. Indépendant, le manager de transition remplace le discours politiquement correct par un langage juste et équitable.
Il voit les collaborateurs sans le filtre de l’habitude ou de la complicité qui peut parfois amener à faire preuve de compassion. À noter que ce biais peut se contourner par des outils de contre-pouvoir tels que le « 360 » ou le coaching d’équipe.
L’entreprise peut être un lieu de réenchantement, le manager de transition y contribue.
En 2020, j’aurais pu dire : l’entreprise du XXIe siècle sera bienveillante ou ne sera pas. Aujourd’hui, les découvertes en neurosciences, la révolution de l’intelligence artificielle et l’état d’esprit des nouvelles générations montrent que définitivement oui, l’entreprise du XXIe siècle sera bienveillante.
Merci infiniment à Thierry Willième, passeur de la juste bienveillance, pour la présentation de ce monde professionnel à l’écoute de son prochain pour le bien de tous. Une mission ancrée dans les convictions de chacun de nos managers de transition.
Données McKinsey (page 38 de La juste bienveillance pour une entreprise alignée performante).