Crise sanitaire et missions de transition : la situation sur le terrain
Ils mènent en ce moment des missions de management de transition, transformation, redressement de performance… en production, opérations, supply-chain, finances ou RH. La plupart d’entre eux ont rejoint l’entreprise dans laquelle ils interviennent depuis plusieurs mois. Comment opèrent-ils au quotidien, dans ces conditions inédites de crise sanitaire ? Quelle est la situation psychologique des équipes, sur le terrain ? Du réajustement de leurs modes de management ou de communication aux freins opérationnels affectant les missions, les managers de transition CAHRA partagent leurs expériences.
1 – Quel est l’impact de la crise sanitaire et du confinement sur les effectifs pilotés par les managers de transition ?
Au regard de l’ensemble des entreprises dans lesquelles des managers de transition CAHRA interviennent actuellement, le nombre d’arrêts « pour maladie » (cas confirmés de Covid-19) s’avère très faible. Certains salariés fragiles sont en revanche absents à titre préventif. D’autres bénéficient d’arrêts de travail pour « garde d’enfants de moins de 16 ans ». Par ailleurs, dans le cadre de ces missions de transition, des modalités de télétravail ont été activées pour la grande majorité des équipes pilotées par les managers. Restent principalement sur site les salariés des fonctions production ou supply chain, dans le secteur agro-alimentaire.
Au-delà de ces enjeux primordiaux de santé, ce contexte inédit de confinement et de crise sanitaire agit sur les émotions de chacun. L’équilibre psychologique peut être mis à mal. L’environnement dans lequel les personnes se retrouvent confinées influe en effet sur leur perception, et leur gestion, de la situation.
Quels sont les retours des managers de transition à cet égard ?
Au sein de leurs équipes, l’inquiétude est manifeste. Un manager de transition évoque « le sérieux et la discipline » des collaborateurs, bien que ceux-ci fassent parfois preuve d’un certain « catastrophisme ». Et pourtant, jusqu’à l’annonce de la fermeture des écoles, les salariés ne percevaient pas de réel danger ; ils n’envisageaient pas d’être touchés personnellement. Ainsi, dans l’une de ces entreprises, l’élaboration d’un plan de continuité de l’activité (PCA) et la communication autour de gestes barrières à adopter [1] ont, dans un premier temps, suscité l’incompréhension des équipes. La succession de décisions gouvernementales a ensuite radicalement changé la donne (fermeture des écoles puis des bars, restaurants et commerces non essentiels, mesures de confinement individuel).
Globalement, point d’abattement [2] ! Dans certaines entreprises, la réorganisation et la transformation pourraient même être facilitées, in fine. Nécessité fait loi. Une réalité à nuancer lorsque la souffrance était patente avant le début de la crise [3] ; cette situation est alors vécue comme une contrainte supplémentaire dans un univers déjà ultra-stressé.
Quant aux managers de transition, souvent éloignés de leurs familles pour mener leurs missions, ils connaissent également un niveau de stress élevé. Certains font part de moments de tristesse liés à l’éloignement physique, dans ces circonstances particulières. Ils disposent toutefois d’un panel de compétences leur permettant de gérer de telles situations.
2 – Quel type de communication a été engagé ?
La communication aux équipes est l’un des axes majeurs de toute mission de transition. Dans ce contexte de crise sanitaire et de confinement, elle prend une autre dimension.
Dès fin février-début mars, un registre de communication spécifique a été adopté par les managers de transition. Les modalités diffèrent en partie d’une mission ou d’une structure à l’autre, selon le nombre de collaborateurs à manager, la taille des entreprises et leur secteur d’activités.
Le premier type de communication a consisté à répercuter les décisions gouvernementales avec la mise en œuvre du télétravail [4], des arrêts de travail et des mesures de confinement. Dans un second temps, on observe différents cas de figure avec des équipes en télétravail à 100 %. Parfois, la communication concerne essentiellement le vécu du confinement. Elle peut également porter sur l’aspect sanitaire et organisationnel : échanges quotidiens avec le CSE, informations sur l’intranet, page collaborateurs accessible de l’extérieur [5].
Dans les entreprises où les équipes de production et supply chain travaillent toujours sur site, la communication est effectuée quotidiennement. Elle vise principalement l’aspect sanitaire, avec le rappel des mesures barrière [6] et des symptômes qui doivent alerter. Un point quotidien en Codir élargi est réalisé, les informations étant ensuite transmises aux chefs d’équipe qui les partagent avec leurs collaborateurs. L’accent est mis sur la solidarité et le respect de tous, en raison des vols qui ont eu lieu (gel et matériel de protection). Chacun est également invité à faire preuve de vigilance face à la circulation d’informations non vérifiées.
Bien que tous les managers la considèrent comme cruciale, la communication de la direction aux managers de terrain ou entre ces derniers laisse parfois à désirer : l’absence de messages clairs est notée, une multiplication des échanges entre managers, sans objectif précis, pouvant également contribuer à la désorganisation.
3 – En quoi la crise sanitaire et le confinement modifient-ils les modes de management, d’organisation et de collaboration ?
Toute situation d’éloignement physique des équipes nécessite d’ajuster la manière de manager. Dans ce contexte où le télétravail n’est pas choisi mais subi, avec une inquiétude généralisée, salariés et managers de l’entreprise ont besoin de se sentir écoutés, et compris. Durant cette période de crise sanitaire et de confinement, il est indispensable de rassurer, en responsabilité ; personne ne doit se sentir isolé. Que les collaborateurs travaillent in situ ou restent confinés, l’importante de leurs rôles respectifs doit absolument être soulignée.
D’où la nécessité d’intensifier le rythme des contacts formels et informels ! Certains managers de transition proposent ainsi deux cafés virtuels de 30 minutes chaque semaine, en complément du point hebdo habituel. Objectif : répondre aux besoins accrus de coordination interne. D’autres managers privilégient les échanges informels « à la demande ». Quand les collaborateurs ont déjà tendance à travailler de façon trop solitaire en présentiel, un contact quotidien est proposé. Cette communication plus soutenue se fait au téléphone et par mail, en visio-conférence (certains dysfonctionnements étant soulignés) ou par chat. L’idée est de partager davantage d’informations sur les activités des uns et des autres tout en renforçant l’entraide.
Malgré la récurrence de ces échanges (dont la durée doit être réduite pour préserver le potentiel d’attention de chacun), la collaboration et la communication à distance sont perçues comme délicates par les managers de transition. En cause, entre autres : le manque d’habitude de ces modalités de travail et la plus grande difficulté de percevoir les réactions des interlocuteurs, à distance.
Dans les entreprises des secteurs sur-sollicités (agro-alimentaire, logistique, pharmacie, plateformes d’appels, santé, …), la pression liée à l’incertitude des flux conduit par ailleurs à des réorganisations quasi quotidiennes. Des informations sont donc régulièrement transmises aux équipes. Une initiative à noter dans l’une de ces structures : un manager de transition a constitué une équipe de « réservistes » afin de renforcer, ponctuellement, les effectifs du service Expéditions. Concrètement, des collaborateurs des fonctions supports – actuellement en télétravail – viennent prêter main forte à leurs collègues sur la base du volontariat.
Dans ce contexte de crise sanitaire et de confinement, une partie des actions ou projets engagés au titre des différentes missions de transition est suspendue. La gestion de crise constitue une priorité absolue. Elle réclame une proximité maximale dans les relations managers-managés et entre managers. La communication joue un rôle clé à cet égard. Des principes simples sont également requis – savoir qui fait quoi. Des lignes directrices claires sont plus que jamais nécessaires pour l’ensemble des effectifs.
Article rédigé sur la base des réponses à un questionnaire adressé aux managers de transition CAHRA entre le 18 et le 21 mars 2020.
[1] Une communication réalisée en avance de phase, avant que l’accent n’ait été mis par les autorités sur ces gestes barrière.
[2] Dans certaines entreprises, des dispositifs de soutien psychologique avaient été mis en place avant le début de la crise sanitaire, sans lien avec celle-ci. Ces dispositifs sont toujours actifs mais les managers de transition ignorent à ce stade si des salariés en télétravail y ont eu recours depuis qu’ils sont confinés, ou non.
[3] Pour des raisons intrinsèques à l’entreprise.
[4] Pour ce faire, il a d’abord fallu s’assurer que chaque collaborateur soit en mesure de travailler correctement, en faisant un point sur son environnement.
[5] Depuis la semaine du 9 mars 2020.
[6] A destination des transporteurs également, par exemple.