La culture d’entreprise, ciment de l’organisation et levier de transformation ?
Vue et revue, la notion de culture d’entreprise ? Pas si sûr ! Dans les organisations, elle reste souvent perçue comme un blob informel, présent par essence mais impalpable. Cela conduit les managers à se préoccuper avant tout de stratégie. Pourtant, l’une et l’autre œuvrent de concert. Intéressons-nous donc à cet « ordre social tacite » et à son impact sur la transformation. Peut-on gérer la culture d’entreprise ? Éléments de réponse.
Quelles sont les principales composantes de la culture d’entreprise ?
Sans prétendre définir cette notion, tentons d’en identifier les caractéristiques communément acceptées.
- Toutes les organisations disposent de leur propre culture d’entreprise.
- Celle-ci a un impact sur le fonctionnement du système [1] dans son ensemble, de l’organisation à la production.
- À l’origine d’un certain nombre de règles de fonctionnement, elle en est aussi la conséquence.
- Dotée d’une dimension « opérationnelle » (pratiques et usages professionnels ; rites d’intégration, d’évolution professionnelle ou de célébration collective [2] ; code vestimentaire ; modes d’interaction entre collaborateurs – entre autres) et d’une dimension plus immatérielle (histoire et ADN de l’entreprise ; vision du dirigeant, partagée avec les collaborateurs ; valeurs communes parfois formalisées dans une charte), la culture d’entreprise se traduit de manière explicite et implicite.
- Elle se construit et se renforce au fil de l’évolution de l’organisation.
- Elle est portée tant par le dirigeant de l’entreprise que par le collectif de travail et chaque individu en son sein.
- Elle est spécifique à chaque entité et, à ce titre, unique [3].
Pour des managers de transition arrivant dans une organisation, la culture d’entreprise n’est pas automatiquement « visible ». Ils la découvrent à l’occasion des interviews qu’ils réalisent afin d’établir un diagnostic des forces et faiblesses du système. Ils se l’approprient ensuite au fil de leurs échanges formels et informels avec les équipes, via leurs actions-interactions sur le terrain et à travers une série d’observations ne portant pas directement sur ce que l’on peut qualifier de ciment des organisations.
Un exemple dans le cadre d’une mission de transition, avec une organisation en situation de poursuite d’activité en 2020 : la culture d’entreprise s’y est notamment traduite par l’engagement fort des collaborateurs, prêts à se battre coûte que coûte pour garantir le service à leurs clients – alors que le confinement venait d’être annoncé.
Pour opérer la transformation, comment prendre en compte la culture d’entreprise ?
Au-delà de la compréhension des enjeux et objectifs de la mission, les managers de transition doivent décrypter très rapidement le mode de fonctionnement de l’organisation et de ses forces vives. Cela inclut aussi bien les process organisationnels que les modes de communication et de collaboration, ou le « niveau » de dialogue sur le plan social. Et c’est en rencontrant les collaborateurs de l’entreprise que les managers procèdent à ce décryptage.
Par ailleurs, pour opérer la transformation avec les équipes en place, il est impératif de « faire bouger les lignes ». Cela nécessite d’insuffler de nouvelles méthodes de travail en activant les leviers de la co-construction, de la collaboration entre services, de la cohésion interne et de la responsabilisation des collaborateurs, notamment. L’organisation d’ateliers dédiés à ces sujets, la mise en œuvre de Quick Win, permettent alors d’embarquer les équipes. Par une stratégie de « petits pas » et sans qu’elle n’ait été visée directement, la culture d’entreprise évolue. Ceci grâce aux équipes qui changent durablement leurs pratiques, sous l’effet du travail effectué sur l’organisation par les managers de transition.
Autre contexte de transformation : les fusions-acquisitions. Il est alors capital de pouvoir diagnostiquer la culture d’entreprise des deux structures vouées à s’unir. L’objectif est d’identifier des points de rencontre entre les modèles pour intégrer l’ensemble des collaborateurs et faire en sorte que tous s’approprient les mêmes pratiques ainsi qu’une histoire à partager ; leur capacité à construire un avenir commun en dépend. Dans cette perspective, les auteurs d’une étude publiée par la Harvard Business Review [4] en 2018 évoquent la « proximité culturelle » d’entreprises orientées plaisirs comme Zappos (axes de l’autonomie et de la flexibilité) et Tesla (axes de la flexibilité et de l’innovation).
Envisageons une situation précise : deux entités se rapprochent, l’une disposant d’une forte culture de projets – ce qui implique la valorisation des initiatives – alors que la seconde est très hiérarchisée. Sans réflexion préalable sur leurs cultures d’entreprise respectives, le choc est assuré quand les collaborateurs devront agir de concert en contexte de travail transversal.
Faire de ce ciment des organisations un levier de développement
Certains moments clés de l’évolution de l’organisation sont propices à une bonne « appréhension » de la culture d’entreprise – quand la structure change de nom par exemple. Un travail de questionnement est alors réalisé, portant sur ses racines, ce qui constitue son système et les valeurs qui en résultent. Chez CAHRA, un arbre de l’ADN a ainsi été produit. Sur un socle de confiance (intelligences humaines, humilité, amour) se développe un système fait d’autonomie, d’écoute, de reconnaissance, de support et outils techniques, lequel donne lieu à un collectif qui agit et pratique l’ouverture, l’adaptation, l’implication, la fidélité.
Même en l’absence de changement significatif, la culture d’entreprise n’est pas figée ; il est donc souhaitable que les entreprises l’interrogent régulièrement en s’appuyant sur leurs collaborateurs. Le temps qui peut y être dédié constitue un investissement pour l’avenir. Car elle nourrit l’engagement des équipes actuelles et contribue à l’attraction de nouvelles recrues. En encourageant les temps d’échanges et de réflexion – y compris dans leur dimension de confrontation et/ou de délibération -, l’organisation reconnaît sa propre culture d’entreprise comme un système vivant et, ce faisant, se vivifie elle-même. Si ce « ciment » rencontre les valeurs et besoins des collaborateurs ainsi que leurs leviers de motivation, il les dote d’une énergie et d’un niveau de confiance qui vont leur permettre de s’engager vers une finalité commune, dans une démarche proactive.
Tenter de transformer radicalement la culture d’entreprise serait voué à l’échec. En revanche, les changements impulsés dans le cadre d’une évolution organisationnelle et managériale (pratiques, comportements humains), contribuent à sa transformation progressive – et partagée. Car c’est bien d’une démarche co-construite qu’il s’agit ! Une approche systémique est à privilégier afin d’aligner stratégie et culture, sachant que la première ne « pilotera » jamais la seconde.
[1] Du « système », c’est-à-dire de l’entreprise.
[2] La manière de fêter des moments ou événements particuliers (fin d’année, congés d’été, anniversaires…) est l’une des émanations de la culture d’entreprise.
[3] Dans les grands groupes, il peut exister une déclinaison de la culture d’entreprise générale, par fonctions ou services.
[4] Changez la culture de votre entreprise pour améliorer sa performance, par J. Yo-Jud Cheng, Boris Groysberg, Jeremiah Lee, Jesse Price (HBR, article réservé aux abonnés).