Dialogue social et mode de management : faut-il agir sur l’un pour restaurer l’autre ?
Récemment reprise par un groupe industriel de premier plan, l’usine dans laquelle j’interviens a connu des difficultés majeures. Au soulagement initial succède une phase d’opposition frontale des équipes et de leurs représentants. En cause : le niveau d’attentes industrielles du groupe. J’interviens dans ce contexte pour rétablir le dialogue social, puis la performance.
Patrick Pujuguet, manager de transition CAHRA
Mon constat immédiat : le mode de management est à l’origine de la rupture du dialogue social
Lorsqu’il fait appel à CAHRA, le donneur d’ordres [1] hésite quant au type de ressource externe à mobiliser : un RH spécialiste de la résolution des conflits sociaux ? Un « super technicien » pour aider les collaborateurs dans les ateliers ? L’avenir de l’usine est en jeu.
Pour CAHRA, la problématique centrale concerne le management des équipes. Tous les dysfonctionnements en sont le fruit, la dégradation du climat social « chapeautant » l’ensemble.
Avant d’entrer en action, je consulte les comptes rendus de réunions IRP de l’année pour percevoir, ressentir, l’atmosphère ambiante. Les interviews que je mène dans la phase de diagnostic de cette mission de transition témoignent :
- D’une grave dégradation du dialogue social (rupture des échanges avec les élus, grèves, contentieux juridiques) ;
Se sentant remis en cause dans leurs métiers et compétences, les salariés et leurs représentants s’arc-boutent à la moindre tentative de recadrage (légitime) [2], face à toute proposition de changement [3].
- De la dégradation des indicateurs de santé et de sécurité au travail ;
- De la situation de fragilité des managers (peur des représentants syndicaux et des grèves, taux de turnover élevé) ;
Je constate la faiblesse des indicateurs de performance, en deçà des objectifs (sécurité, coûts de non-qualité, productivité, maintenance => non-maîtrise des coûts) et note par ailleurs un manque de visibilité sur les leviers de performances industrielles. Peu de ressources sont mobilisées – et mobilisables – sur l’amélioration de la performance, certains salariés étant « placardisés ».
Je définis dès lors deux axes d’intervention :
- L’un, prioritaire, consiste à renouer le dialogue social tout en réinstaurant l’autorité de la direction et en repositionnant le rôle des managers de proximité ;
- L’autre, à moyen terme, porte sur l’amélioration et l’optimisation des performances industrielles de façon durable.
« Marmiton.com » : je concocte une recette pour redonner toute sa saveur au management et au travail lui-même
La qualité relationnelle sera mon fil rouge. Pour réussir cette mission, je dois créer une alliance solide avec mon donneur d’ordres et les partenaires sociaux.
Fort de cette conviction, j’anime mon premier Comité d’Établissement. Lorsque j’explique que je dispose du même budget que mon prédécesseur [le directeur de l’usine, ndlr], les rires fusent. Voici le nouveau marmiton.com…. Avec lui, tout sera meilleur et moins cher !
Je saisis l’opportunité de ce trait d’humour pour en jouer avec l’assemblée. Pour moi, l’essentiel est de travailler la relation, aussi bien au niveau collectif qu’individuel, générant ainsi peu à peu un climat de confiance. Lors des interviews et durant mes tours d’ateliers, je me suis attaché à la relation individuelle. Ma posture n’est pas fermée à toute demande [4] ! Je me mets au contraire en position d’ouverture, de dialogue et, in fine, de collaboration.
La voie de la diplomatie, de la pédagogie et de l’accompagnement du changement vont permettre de renouer le dialogue social et de rendre les relations interpersonnelles plus sereines. Cela n’exclut pas d’être directif quand la situation l’exige.
Un autre challenge m’attend : déployer une démarche Lean tout en favorisant le développement personnel des collaborateurs
Si la standardisation des processus va garantir une performance maximale, la « réalisation de soi » constitue le carburant de la motivation. Selon moi, la performance d’un individu ou d’une équipe est le produit de la compétence par la motivation par les valeurs (P = C * M * V).
Dans cette perspective, les fondamentaux du management doivent être respectés [5] : dire bonjour à ses collaborateurs ; faire preuve d’empathie à leur égard ; leur témoigner de la reconnaissance.
Cela se traduit de façon opérationnelle par le fait :
- De réaliser des entretiens individuels motivants et justes ;
- De faire preuve de courage managérial (oser dire), avec toute la bienveillance requise ;
- De transmettre de l’énergie positive et du feedback à ses collaborateurs à l’occasion des réunions de suivi de performances et dans les groupes de résolutions de problèmes, notamment.
L’amélioration de la performance ne doit pas « compliquer la vie » des collaborateurs mais les aider à accéder à un mieux-être. Les principes du management équitable permettent d’insuffler une nouvelle dynamique dans l’animation de l’ensemble des réunions et dans l’accompagnement des managers. Une série d’actions basiques intégrant un maximum de collaborateurs y contribue également, du rafraîchissement des locaux au démontage et à la mise à la ferraille des machines qui ne serviront plus.
Clôture de la mission de transition : une atmosphère de convivialité marque la restauration du dialogue social
En quelques mois, les indicateurs de performances s’améliorent significativement : amélioration du TRS [6] usine de 5% et baisse des coûts de production de l’ordre d’1,5 M€ ; fin des contentieux juridiques ; quasi cessation des grèves. La mission de management de transition est alors prolongée pour consolider les résultats tangibles obtenus.
Peu de temps avant mon départ, une soirée est organisée par les managers de l’usine (encadrement et Codir). En parallèle, certains élus m’invitent à partager un verre à l’extérieur de l’usine. Ces moments conviviaux sont riches d’émotion. Dans ce contexte, ils viennent « adouber » le rétablissement du dialogue social dans l’entreprise.
Six mois après la fin de la mission, le site est certifié ISO 22 000 et de nouveaux investissements ont lieu.
Dans l’entreprise, il n’existe pas de recette miracle permettant de retourner une situation quelle qu’elle soit. Tout est possible en revanche moyennant la confiance du donneur d’ordre et l’accompagnement du changement par et avec les femmes et les hommes de l’entreprise. Fédérer les équipes est la clé du succès. Les engager dans le processus de transformation. S’attacher à leur développement personnel. Le dialogue social peut ainsi être restauré.
[1] Il s’agit du directeur industriel groupe.
[2] Je l’expérimente moi-même dès mon arrivée : malgré la mise en garde des managers de l’usine, je valide le recadrage d’un salarié ayant manqué de respect à son chef d’équipe. Une grève est déclenchée dans l’heure qui suit ! Je vais immédiatement à la rencontre des élus présents et du salarié concerné : à l’issue d’échanges musclés, le redémarrage de l’usine est acté.
[3] Lorsque j’interviens, l’intégration du site au groupe est un échec car le syndicat majoritaire refuse de mettre en œuvre les nouvelles directives.
[4] En grande difficulté pour piloter les relations avec les IRP, le directeur de l’usine en place semblait se trouver au cœur des tensions avec certains élus.
[5] Les managers de proximité ne portent pas l’entière responsabilité des tensions et autres pertes de performances. Les membres de la direction en sont souvent coresponsables, ainsi que les partenaires sociaux et les salariés eux-mêmes. Chacun aspire à une bonne ambiance et à de meilleures conditions de travail. Cependant, lequel d’entre nous est prêt à faire spontanément l’effort nécessaire au changement ?
[6] TRS : taux de rendement synthétique.