Assumer sa fragilité pour une société plus humaine
Olivier RIOM est président de Vivolum, entreprise de bâtiment, ex-président de l’association 60 000 rebonds et animateur du groupe de réflexion « comment changer le regard sur l’échec ». Ancien directeur régional d’un grand groupe, il décide en 2004 d’appliquer ses propres valeurs dans un projet entrepreneurial et reprend les rênes de Vivolum. Après une politique de recrutement audacieuse en 2005, il affronte une crise économique en 2011 et engage un plan de sauvegarde en 2014. Aujourd’hui, il nous partage son expérience de la vulnérabilité du dirigeant, de ses compagnons et de la fragilité de l’organisation. Il nous explique comment l’être humain et les relations qu’il déploie ont la capacité de transformer cet état de faiblesse individuelle en force collective.
Exprimer et accueillir ses vulnérabilités : une difficulté culturelle
Exprimer sa fragilité
C’est toujours compliqué de s’exprimer sur ses vulnérabilités, par fierté ou par honte. Nombre de personnes en situation de handicap se taisent. L’être humain, par nature, cache ses faiblesses. L’éducation joue un rôle important. On nous a appris à nous montrer fort, à dissimuler nos émotions, à nous battre et non à demander de l’aide. Pourtant, vivre en masquant ses émotions est éprouvant et angoissant.
Afficher ses vulnérabilités implique une posture d’humilité. Il faut accueillir la confiance, l’aide et l’amitié de l’autre.
Il faut aussi de la force pour reconnaître et assumer ses fragilités.
L’amour, l’aide et l’acceptation permettent de rebondir et de se reconstruire.
Au début, j’ai refusé de me confier, persuadé que si le dirigeant tousse, l’entreprise s’enrhume. J’ai donc dissimulé mon burn-out.
Puis la perte de confiance des clients, des banques et des fournisseurs rend une organisation si vulnérable qu’il devient impossible de masquer cette réalité à ses équipes. J’ai alors découvert la force d’assumer et de reconnaître la fragilité de mon entreprise.
Accueillir la fragilité de l’autre
La vulnérabilité effraie. Combien, par peur de blesser ou de paraître ingérant, n’osent pas demander à leur collègue comment il ou elle se sent ? Alors qu’un simple message suffit à prouver sa présence et son soutien.
Pour affronter les faiblesses d’autrui, le système doit s’adapter. Au début, mes collaborateurs se montraient un peu réticents face aux recrutements de personnes fragilisées (en situation de handicap, sans domicile fixe, migrant, population carcérale). On a donc vite surfé sur leurs succès. Au fur et à mesure, cela a donné du sens aux équipes. Elles se sont formées à évaluer le savoir-être, à faire tomber les préjugés, à voir le beau qui réside en chacun de nous. Chacun a développé une sensibilité, une posture. Aujourd’hui, c’est l’ADN de l’entreprise.
Quand exposer ses fragilités renforce la cohésion d’équipe
Bien se connaitre avec ses forces et ses faiblesses permet de gagner en efficacité. L’enjeu est davantage d’amplifier ses points forts que de corriger ses faiblesses.
Les fragilités nous rendent plus humains et les relations se fluidifient. C’est d’autant plus facile quand le patron est concerné. Il y a moins d’ouvertures pour les collaborateurs, car la situation s’impose à eux. Les relations deviennent plus sincères, plus profondes. Se crée alors une dynamique de force plutôt que de fragilités. Et cette cohésion autour de la fragilité me paraît plus humaine.
Accepter de parler de ses fragilités, c’est offrir un cadeau à l’autre, c’est lui donner l’opportunité de grandir par le soutien qu’il vous porte. Pour ma part, vivre cette période de crise m’a aidé à comprendre pourquoi je travaillais et où se trouvait mon plaisir. Je me sens plus aligné aujourd’hui que durant mes premières années d’entrepreneur.
Les relations humaines : le socle pour préserver une organisation en crise
Les univers familiaux et amicaux sont deux piliers primordiaux sur lesquels se reposer.
Pour un entrepreneur, la force du réseau s’avère fondamentale. C’est précisément lorsque tout se passe bien qu’il doit tisser des liens solides, développer des relations sincères et authentiques. C’est ainsi que le réseau le soutiendra et le rendra plus résistant quand il en aura besoin.
C’est la même chose pour que le collectif survive à un moment de crise. C’est en période faste que les équipes doivent trouver leur cohésion. La culture d’entreprise se travaille quand tout va bien. Ainsi, à l’apparition des difficultés, les collaborateurs sont suffisamment proches et confiants les uns envers les autres pour se serrer les coudes et affronter la tempête.
On compare parfois l’entreprise à une chaîne, composée de maillons forts et de maillons faibles. Pour moi, elle ressemble plutôt à un système interconnecté par de multiples neurones. Dès qu’un maillon faiblit, les autres compensent naturellement pour que la dynamique collective et l’efficience restent au meilleur niveau possible. On se fortifie par la cohésion de tous et la reconnaissance des autres.
La maturité d’une organisation s’analyse à sa capacité de prendre soin des plus faibles (qu’il s’agisse des compagnons ou du dirigeant).
La raison d’être de l’entreprise : autre élément fondamental pour surmonter les fragilités
En 2005, la tension du marché m’a amené à embaucher des personnes éloignées de l’emploi. Au début, j’ai vu leur motivation, leur ténacité, leur volonté et leur courage. J’ai relevé de forts engagements et peu de turn-over, mais sans en tirer de conclusions.
Plus tard, j’ai pris conscience que c’était leur place dans l’entreprise qui donnait envie à ces compagnons de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Chez Vivolum, nous avions besoin de former les compagnons, de les accompagner du savoir-faire au faire-savoir. Pour les recruter, nous nous basions sur leur savoir-être. En effet, les gestes techniques s’apprennent, alors que les softs skills sont compliquées à enseigner. Notre valeur ajoutée : former les gens.
La procédure de sauvegarde avec le Tribunal de commerce permet de recentrer son entreprise. Dans la crise, tout s’obscurcit. Le tribunal aide à pacifier les choses et à prendre les meilleures décisions. J’ai compris que nous étions créateurs de liens avant d’être créateurs de biens.
Bien sûr, certains collaborateurs ont quitté l’entreprise. Après une première déception, nous avons vite réalisé que notre vraie vocation ne tenait pas dans l’intégration de personnes vulnérables. Notre vraie raison d’être était de les accompagner pour une vie professionnelle solide et durable. En cela, que nos compagnons restent ou non ne remet pas en cause le succès de notre mission.
Soutenir les plus faibles quand on est manager
Quand on travaille dans un grand groupe, les injonctions paradoxales entre les objectifs et la réalité rendent la position du manager difficile. Si, parmi ses équipes, il identifie un collaborateur en détresse, comment lui tendre la main et maintenir les performances collectives ? Je pense que le manager doit revenir à ses valeurs intrinsèques (son savoir-être) et faire des choix. S’il est animé par le soutien à l’autre et la qualité de la relation humaine, alors il doit assumer sa position.
Il appartient à chaque organisation de donner les moyens aux managers de prendre soin de ses collaborateurs.
Après des années comme directeur régional d’un grand groupe, c’est, entre autres, pour échapper à ces dissonances que j’ai décidé de laisser parler mon âme d’entrepreneur et de voler de mes propres ailes.
La force d’une organisation humaine repose sur les liens que nous créons. Pour une entreprise forte et résiliente, on dirige sans s’imposer, on écoute sans s’effacer, on grandit sans écraser. Ainsi, les hommes et les femmes grandissent et s’épanouissent. Cette vision implique un vrai droit à l’erreur. C’est la raison pour laquelle je collabore à l’écriture d’un livre : Gloire à l’échec.
Merci infiniment à Olivier Riom de nous avoir accordé cette interview et d’avoir partagé sa vision de la vulnérabilité du dirigeant, des collaborateurs et de l’organisation elle-même. Une forte relation à l’autre que nous partageons au sein de Cahra.