Inclusion économique : en route vers un changement systémique [Géraldine Plénier, DG de la Fondation Mozaïk]
Sur quoi repose un recrutement inclusif ? Pourquoi valoriser les soft skills ? Comment faire de la diversité une priorité stratégique ? Autant de questions abordées lors du 2e sommet de l’Inclusion économique[1], via une série de conférences plénières et un grand nombre d’ateliers. Propulsés par la Fondation Mozaïk, ces échanges ont fédéré 10 000 participants, en présentiel ou à distance. Comment « passer à l’échelle » en matière d’inclusion économique ? Les réponses de Géraldine Plénier, directrice générale de la Fondation Mozaïk.
Avant d’évoquer le 2e sommet de l’Inclusion économique, une question à la toute nouvelle directrice générale de la Fondation Mozaïk : votre arrivée résulte-t-elle d’un cheminement préalable ?
J’ai effectivement rejoint la Fondation Mozaïk tout récemment, en septembre 2022. Il se trouve que je connais les équipes de Mozaïk – et notamment son fondateur, Saïd Hammouche – depuis 2008. Je pilotais alors la RSE du groupe Capgemini. À ce titre, j’ai représenté Capgemini au sein de la Grande École du Numérique, en mettant en place des partenariats avec Openclassrooms ou la start-up Simplon, entre autres. Pour revenir au cabinet Mozaïk RH [la filiale commerciale de la Fondation Mozaïk, créée avant le lancement de la fondation – ndlr], je l’ai découvert dans le cadre d’une opération initiée par le Syntec, qui visait à recruter des étudiants issus des universités de Créteil et de Villetaneuse notamment. Par ailleurs, j’ai dirigé la Mission Handicap chez Capgemini : j’ai également travaillé avec Mozaïk RH à cette occasion. À chaque fois, j’ai apprécié leur approche et leur accompagnement. Je suis ensuite devenue directrice générale de Positive Planet, une association qui aide les habitants des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV), demandeurs d’emploi et bénéficiaires du RSA, dans leurs projets de création d’entreprises. La direction générale de la Fondation Mozaïk s’inscrit donc dans un parcours plus global.
Quelle est l’ambition de cette fondation ?
Nous agissons pour rapprocher les entreprises d’une part, les candidats de l’autre. Auprès des entreprises, nous menons des actions de sensibilisation et de formation, pour favoriser des recrutements inclusifs ainsi qu’une intégration professionnelle réussie. Auprès des candidats, nous nous substituons à d’autres leviers d’accès à l’emploi (réseaux des grandes écoles, coachs privés, clubs), grâce à la plateforme Mozaïk Talents, où l’on trouve plus de 8 000 offres d’emploi actuellement, et aux différentes solutions de coaching que nous leur proposons. Nos actions se traduisent également par du tutorat, et du mentorat réalisés par les salariés d’entreprises partenaires.
Il faut savoir qu’à diplôme équivalent et à compétences égales, les boursiers ou étudiants des QPV accèdent beaucoup plus lentement à l’emploi. Selon l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV), au sein des QPV, le taux de chômage est de 16 % pour les BAC + 2 et plus, contre 6 % dans les quartiers avoisinants. Soit près de trois fois plus ! Le taux de chômage est près de 3 fois plus élevé au sein des QPV qu’ailleurs. Ce que ces étudiants résument souvent d’une formule : « la galère » … Nous voulons changer les choses ! Ces étudiants doivent connaître une insertion aussi rapide – et durable – que les autres. Sachant qu’ils sont aussi moins satisfaits de leur première expérience professionnelle que le reste de la population estudiantine.
Le 2e sommet de l’Inclusion économique a eu lieu le 29 novembre dernier. Quels sont vos premiers retours ?
Il est trop tôt pour dresser un bilan, mais nous sommes très satisfaits de la mobilisation collective que nous avons observée. Plus d’une centaine d’entreprises, d’acteurs publics et d’associations, et plus de 1 300 candidats, étaient ainsi au rendez-vous. Outre la présence de trois ministres[2], le sommet a été ouvert par un message vidéo du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire. Le président de la République, Emmanuel Macron, l’a conclu en vidéo également, en nous invitant à l’Elysée pour le prochain sommet !
Du côté des thématiques, l’entrepreneuriat, vu comme une solution d’inclusion et d’insertion, a été mis en exergue – à travers la création du Fonds Sens. Les entrepreneurs finalistes ont pu « pitcher » leurs projets, et les lauréats vont faire l’objet d’un soutien financier. Par ailleurs, une consultation citoyenne, #Parlons Égalité Des Chances, a été organisée en amont du sommet[3]. Ses conclusions rencontrent les plaidoyers de Mozaïk, à savoir : des solutions existent, elles peuvent être portées par tous types d’acteurs (entreprises privées, institutions publiques), et il faut poursuive les actions de sensibilisation et de formation, acculturer encore davantage les professionnels RH et les managers au recrutement inclusif. Car l’évolution requise est systémique. Dans cette perspective, la mobilisation des comités de direction comme des directions générales d’entreprises est absolument indispensable. Sachant que cette acculturation vise aussi bien la connaissance du cadre légal que le fait d’être « prêt » à recruter, accueillir et intégrer des profils différents de ceux que l’on a l’habitude de côtoyer.
4 000 offres d’emploi ont par ailleurs été proposées : c’est un vrai motif de satisfaction. Quant aux entreprises partenaires, elles représentaient 7,5 % des entreprises – et des salariés – français. L’ambition de la Fondation Mozaïk est désormais que 10 % des recrutements opérés par ces organisations concernent des étudiants issus des QPV.
Sur le recrutement, il ressort des échanges menés lors du sommet – et de la consultation #Parlons Égalité Des Chances – que les pratiques doivent évoluer. Quelles initiatives vous semblent le plus porteuses ?
L’inclusion économique doit faire partie du projet de l’entreprise, générant un recrutement à son tour inclusif. Cela suppose un sourcing diversifié, avec des canaux multiples et des informations accessibles au plus grand nombre. Une évaluation objective des candidatures doit être réalisée, en misant sur le potentiel des candidats – hard skills, soft skills. En parallèle, la singularité de tous les profils est à valoriser lors des parcours d’intégration.
Pour œuvrer en ce sens, Mozaïk et d’autres acteurs de l’inclusion économique plaident pour que les candidats, puissent voir leur profil étudié par les recruteurs « au-delà du CV », et avoir l’opportunité de présenter leurs compétences autrement. Sur certains métiers, le recrutement sans CV est mis en œuvre – par Pôle Emploi notamment. Mais la tendance du moment est celle de la valorisation des compétences comportementales[4].
Dans cette perspective, de nombreuses solutions digitales existent : nous avons d’ailleurs un partenariat avec l’association Article 1, pour leur solution JobReady. Ainsi, les candidats qui déposent leur CV sur la plateforme Mozaïk Talents peuvent passer des tests pour prendre conscience de leurs soft skills – et apprendre à les valoriser. On le constate, l’expérience et les compétences autres que « métier » comptent davantage pour les recruteurs. Dans un sondage réalisé par la Fondation Mozaïk et Article 1 en octobre 2021, près d’1 recruteur sur 2 estime que les soft skills sont importantes dans le recrutement, même si 65 % des recruteurs déclarent ne pas disposer d’outils pour les évaluer de manière objective. Cette évolution représente une chance pour les populations qui rencontrent des difficultés d’accès à l’emploi – ou à un emploi à la hauteur de leurs diplômes. Toutefois, en France, le CV reste un document central dans les processus de recrutement.
Pour aller plus loin, la question de la « mesure » semble cruciale. Les entreprises savent-elles qu’elles en ont le droit ?
Lors de ce 2e sommet, j’ai moi-même animé l’atelier « Mesurer concrètement et légalement la diversité et l’inclusion ». Or, vous avez raison, un certain nombre de lois encadrent ce sujet : celle de 2018 par exemple, la loi Avenir professionnel, qui a instauré l’Index de l’égalité professionnelle. Celui-ci oblige les entreprises à calculer les écarts de rémunération femmes / hommes dans les entreprises de plus de 50 salariés, et à publier cet index.
Par ailleurs, un certain nombre de méthodes de mesure ont été développées, à l’instar du baromètre Inclusion & Diversité du cabinet Mozaïk RH ou de l’empreinte Diversité & Inclusion de la start-up « Tech For Good » Mixity[5]. L’objectif est de disposer d’indicateurs quant aux actions engagées – ou non – en matière d’inclusion mais aussi, de pouvoir évaluer le « sentiment d’inclusion ». Les plans d’action basés sur les résultats ainsi obtenus sont beaucoup plus efficients.
À l’égard des étudiants issus des QPV, l’inclusion économique ne passe-t-elle pas par davantage de « rôles modèles » dans les organisations ?
Absolument. Mais cette « représentation » prend du temps. L’incarnation passe aussi par des prises de parole fortes de dirigeants, comme celles de Gianmarco Monsellato, président de Deloitte France & Afrique francophone, ou de Christophe Carreyre, DG délégué en charge du Projet humain chez Auchan Retail France, lors de ce 2e sommet. Tous deux ont évoqué leurs parcours et rencontres – en quoi celles-ci ont contribué à forger leurs convictions en faveur de l’inclusion économique. Ce type de témoignages rencontre un véritable écho chez les jeunes, c’est certain.
Pour convaincre des décideurs encore hésitants, quel exemple d’action « à impact », initiée par la Fondation Mozaïk, pourriez-vous donner ?
En voici un. Dans le cadre du campus Mozaïk, le programme Propulsion permet d’accompagner plus de 1 000 candidats par an. Nous travaillons avec eux sur leur projet professionnel et ils passent ensuite deux jours en immersion dans une entreprise. Récemment, une vingtaine d’entre eux ont été accueillis par Bank of America, avec une rencontre de la CEO à la clé. Ils ont ensuite été coachés par des mentors de l’entreprise. Or, 80 % des candidats participant à ce programme trouvent un emploi dans les six mois ! Et quand on échange avec les mentors qui épaulent ces jeunes, ils font part de leur fierté – et de ce qu’ils en retirent eux-mêmes. Quant aux candidats, ils prennent confiance en eux et réalisent qu’ils peuvent trouver leur place dans ce type d’environnement. L’un des étudiants accueillis au sein de Bank of America m’a d’ailleurs confié que la CEO l’avait incité à se lancer, alors que lui-même était encore dans le doute… Cet étudiant est pourtant surdiplômé ! Ce type de rencontres et d’échanges a un fort impact sur un parcours personnel comme professionnel.
En conclusion, diriez-vous, comme Saïd Hammouche, que « l’inclusion économique constitue un puissant vecteur de compréhension de son marché » ?
Tout-à-fait. L’inclusion économique bénéficie à tous égards aux entreprises et à leurs collectifs de travail. Selon une étude du cabinet Deloitte, elle générerait ainsi près de 30 % de chiffre d’affaires en plus par salarié. D’autres enquêtes montrent le rôle favorable de l’inclusion et de la diversité en matière de créativité et d’innovation ou encore, de réduction du turn-over. Les entreprises sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à en prendre conscience. 2023 doit être l’année du passage à l’échelle, avec une meilleure structuration de la démarche : poursuite de la sensibilisation et de la formation, augmentation du nombre de recrutements inclusifs et mesures très précises des actions conduites.
BIO EXPRESS – GÉRALDINE PLÉNIER
Géraldine Plénier est devenue directrice générale de la Fondation Mozaïk en septembre 2022. Une fondation lancée par Saïd Hammouche en 2015 avec d’autres dirigeants d’entreprises, devenue « fondation actionnaire » en 2020. Géraldine Plénier s’est forgé de solides convictions en matière d’inclusion économique et de diversité dans le cadre de ses précédentes fonctions. Ex-DG de Positive Planet France (accompagnement vers l’entrepreneuriat des habitants des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville), elle a également piloté la responsabilité sociale et environnementale du groupe Capgemini. À titre bénévole, elle a – notamment – présidé l’association porteuse du Programme Booster, afin de faciliter l’insertion professionnelle des étudiants diplômés d’universités.
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[1] Le 2e sommet de l’Inclusion économique s’est déroulé le 29 novembre 2022 au ministère de l’Économie et des Finances à Paris.
[2] Olivier Dussopt, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Stanislas Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique et Roland Lescure, ministre délégué en charge de l’Industrie.
[3] Cette consultation a réuni 1 200 participants et recueilli plus de 16 000 contributions.
[4] Pour en savoir plus sur les compétences comportementales mobilisées par les managers de transition lors de leurs missions : c’est ici.
[5] Mixity a été créée par trois associés experts de l’innovation technologique et sociale : Sandrine Charpentier, Dominique Crochu et Jérôme Fortineau. Chacun d’eux a auparavant piloté des entreprises ou organisations à forts enjeux humains.