Intuition et émotions : un duo détonant au service du management
Alors c’est vrai, elle a souvent mauvaise presse ! Notamment dans le monde du travail, qui valorise l’analyse et le raisonnement. Pourtant, l’intuition peut se révéler un puissant levier d’efficacité professionnelle dans le cadre du management, à condition de bien la « connaître » et de savoir l’exploiter. Décryptage des principaux enseignements de la recherche en sciences cognitives et réflexion autour de sa mobilisation.
L’intuition ne se laisse pas « approcher » facilement – et ça lui nuit !
« Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel (…), un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don. » Cette citation d’Albert Einstein illustre la primauté accordée à la rationalité sur l’intuition. Sans doute parce que la seconde est bien plus difficile à objectiver que la première… De ce fait, comment réussir à lui faire confiance ? Une étude conduite il y a quelques années par des chercheurs anglais le confirme : nous avons du mal à évaluer la qualité de nos intuitions. En effet, confrontés à des tâches qui réclament de laisser de côté le raisonnement, les individus se considérant spontanément comme « intuitifs » ne réussissent pas mieux que les autres…
La théorie des marqueurs somatiques permet d’y voir plus clair
Si nous avons du mal à évaluer nos intuitions, celles-ci mériteraient pourtant d’être davantage prises en compte, et de faire l’objet d’une sensibilisation dédiée. Pour cela, il faut d’abord en décrire la mécanique cognitive… car l’intuition n’a, bien sûr, rien de « magique » ! L’un de ses principaux moteurs reste les émotions, comme l’a avancé dans les années 1990 le neurologue Antonio Damasio en définissant sa théorie des « marqueurs somatiques ». L’intuition dépend notamment de la réactivation, largement implicite et involontaire, de notre passé émotionnel. Ainsi, quand une situation implique une prise de décision, notre cerveau la compare à des situations analogues, déjà vécues, et à leurs conséquences à la fois factuelles et émotionnelles.
Par exemple, un manager – ou manager de transition – se trouve confronté au dilemme suivant : poursuivre un projet ou une mission qui semble vouée à l’échec, ou faire le choix de l’interrompre tant que les conditions de succès ne sont pas réunies. En effectuant un traitement de l’information extrêmement rapide et non conscient, son cerveau va faire le lien avec des expériences similaires, leur coloration émotionnelle (stress, déception, joie…) et leur résultat : ont-elles été, ou non, couronnées de succès ? Comme l’explique le scientifique Alain Berthoz dans son ouvrage intitulé La Décision, l’intuition est la meilleure preuve de la capacité du cerveau à prédire l’avenir en référence aux expériences passées. Dans le cadre du management, ce jeu entre différentes temporalités aide considérablement à agir.
Et si l’on réconciliait l’intuition et la rationalité ?
Hors de question, bien sûr, de considérer que nos raisonnements n’ont plus de valeur ! Simplement, ils ne sont pas les uniques moteurs de nos choix ou actions – ni, parfois, les meilleurs. Notre cerveau dispose en fait de deux circuits de prise de décision : d’un côté, un système de raisonnement, neutre du point de vue émotionnel, lent et volontaire ; de l’autre, un système intuitif, dépendant des émotions, très rapide et automatique. Selon le contexte et la situation, l’un ou l’autre va donc prendre le dessus.
Certains chercheurs, comme le psychologue allemand Tilmann Betsch, estiment que ces circuits sont, en réalité, complémentaires. La pensée analytique interviendrait en amont, lors de la recherche d’informations ; puis les processus intuitifs entreraient en jeu en favorisant l’intégration de ces informations – et « l’élaboration » d’une décision. Pour reprendre l’exemple du manager confronté à un choix difficile, il commencerait dans ce cas à poser les éléments en présence – les « pour » et les « contre » associés à la poursuite du projet. Il laisserait ensuite parler son intuition pour les comparer, « non consciemment », avec ses expériences passées – sous réserve qu’il ait été confronté à des situations suffisamment proches susceptibles de bénéficier à celle en présence. Une illustration avec Jacques Rodesch, manager de transition CAHRA : « Lors d’une mission, le manager qui opère a une intuition de départ, qui se travaille. De multiples observations issues de ses expériences précédentes viennent la nourrir ».
Comment mettre l’intuition au service du management ?
In fine, l’intuition est-elle une « bonne » ou une « mauvaise » conseillère ? Sans nul doute, elle présente des atouts pour le manager : sa rapidité, appréciable quand la décision ou le positionnement doivent être réalisés sans délai ; et sa capacité à s’appuyer sur l’analyse de données de différentes natures. Une décision immédiate et fondée sur un grand nombre d’éléments a donc des chances d’être « meilleure » quand le manager écoute sa petite voix intérieure. Attention, toutefois, à ne pas trop se reposer sur celle-ci…. Tout comme ses pairs, Antonio Damasio recommande de procéder à un raisonnement post-intuitif, basé sur des connaissances factuelles, pour s’assurer que l’intuition conduit dans la bonne direction. Bref, à la confiance aveugle, mieux vaut privilégier un temps de vérification.
Dans le monde du travail comme dans le cadre des relations professionnelles, l’intuition semble désormais en mesure de retrouver toute sa place. C’est ce que présentent deux experts et chercheurs, Quentin Mirablon et Hugues Poissonnier, dans leur livre Manager avec l’intuition. À leurs yeux, il est important de créer un cadre propice à l’intuition. Ils recommandent donc aux managers de mettre en place « toute une organisation interne afin d’influencer les actions intuitives de leurs collaborateurs, de manière consciente, comme des zones propices au développement des idées intuitives et innovantes, ainsi que les outils supports adaptés ». Par ailleurs, la nécessité pour les managers de devenir stratèges – notamment les managers intermédiaires -, conduit ces derniers à devoir également mobiliser leur intuition… et leur imagination ! Telle est l’analyse d’Olivier Meier, professeur des universités en sciences de gestion et du management, Président de l’Observatoire ASAP – Action Sociétale et Action Publique.
À chaque entreprise de définir les modalités de ce cadre propice à l’intuition, puis d’en tester les effets. Des organisations honorant tout autant « le don que le serviteur », l’intuition que la rationalité, pourront alors en résulter.
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