Les managers, premiers relais de la prévention des TMS
Les troubles musculo-squelettiques, ou TMS, font partie des maladies professionnelles reconnues les plus fréquentes (plus de 80 % en France). Selon l’INRS, ces troubles ont augmenté de 60 % depuis 2003 dans la population active. Contrairement à une idée reçue, les métiers manuels ne sont pas les seuls concernés par les TMS, qui touchent aussi largement les métiers « statiques », notamment dans les bureaux. Quelles sont les causes des TMS ? Quels liens les TMS entretiennent-ils avec la QVT ? À quels éléments les managers doivent-ils être attentifs pour entrer dans une démarche de prévention efficace ? Cahra, management de transition, vous apporte des éléments de réponse avec Franck Pennuen, formateur et consultant en prévention des risques liés à l’activité physique.
Les TMS : tous concernés
On parle de TMS pour désigner toutes les gênes, douleurs et inconforts corporels situés autour des articulations, mais aussi du rachis, c’est-à-dire du dos. Il est en effet convenu d’associer les douleurs dorsales aux TMS. En Europe, environ 50 % des personnes en poste souffriraient de douleurs musculo-squelettiques, sans écart important d’un pays à l’autre.
Les TMS peuvent concerner les collaborateurs de tous âges, qu’ils exercent un métier manuel ou une fonction « statique » dans un bureau. On rencontre ainsi beaucoup de jeunes atteints de TMS. Selon Franck Pennuen, dirigeant de PSP Conseil & Accompagnement, l’explication tient à ce que les personnes en début de carrière ont souvent tendance à s’investir dans le travail sans trop se préoccuper des gestes ou postures présentant des risques.
A contrario, si l’âge est un facteur aggravant pour les collaborateurs seniors, ils le compensent en général grâce à leur expérience. Parce qu’ils ont déjà été touchés par les TMS, ils sont beaucoup plus attentifs à la recherche d’éléments soulageant leurs douleurs, connaissent les gestes et postures qui sont source de confort.
Les managers doivent ainsi se prémunir de toute idée reçue sur l’âge ou la nature de l’activité des salariés, et garder à l’esprit qu’un individu au travail recherche toujours le confort.
Des causes multiples qui interagissent
De multiples causes expliquent les TMS. Le poste de travail et son environnement, l’organisation du travail et le climat social dans l’entreprise sont les éléments le plus souvent cités, mais d’autres facteurs expliquent l’augmentation continue des TMS depuis une vingtaine d’années.
Le vieillissement de la population active est l’un d’entre eux. En vingt ans, la part des travailleurs « vieillissants » a quasiment doublé en France. La représentation des plus de 50 ans est ainsi passée de 16 % en 1995 à 27 % en 2012 (dernier chiffre disponible), et celle des plus de 55 ans de 8 % à 13 % sur la même période.
L’intensification du travail depuis le début des années 2000 doit aussi être considérée. D’après une étude de la Dares sortie en juillet 2014, cette intensification s’est particulièrement manifestée en France entre 2005 et 2013, période durant laquelle les changements organisationnels et les rythmes de travail se sont accrus conjointement. L’étude met aussi en lumière, sur ces mêmes années, une « augmentation des tensions » et « un peu plus de contraintes physiques ».
Prévention des TMS : replacer l’homme au cœur du travail
Les causes de TMS étant multiples et diverses, il apparait indispensable pour les contrer de mettre en place une démarche globale d’évaluation et de prévention des risques.
Selon un dossier de l’INRS de mars 2017 consacré aux TMS, la démarche de prévention devrait intervenir dès la conception des équipements de travail. L’Institut propose, dans cet objectif, son propre modèle en quatre phases : mobiliser, investiguer, maitriser, évaluer.
La démarche de Franck Pennuen intègre cette préoccupation dans son approche, qui se fonde sur l’idée d’agir sur le poste en replaçant l’individu au cœur du travail : il s’agit d’adapter le travail à l’individu, et non le contraire. Ce principe posé, il est nécessaire de travailler en interne sur les facteurs laissant apparaitre les douleurs et troubles corporels ; mais aussi en faisant appel à des ressources externes, comme les médecins du travail ou les cabinets de conseil spécialisés en santé au travail.
Travailler à plusieurs niveaux
- Du point de vue biomécanique
Il s’agit ici des mécaniques du mouvement : efforts et leur cumul, répétitions, angulations des gestes et postures, manipulations récurrentes de charges, en résumé tout ce qui sollicite les tissus mous. La sensibilisation aux TMS liés à l’aspect biomécanique est souvent plus grande dans les secteurs d’activités concentrant des emplois manuels pénibles ou réputés « à risques » : industrie manufacturière, agroalimentaire, agriculture, artisanat, grande distribution, aide à la personne…
Cependant, le travail statique est également source de douleur. Rester sept heures devant un ordinateur peut engendrer des TMS : une hauteur d’écran inappropriée peut générer des douleurs cervicales, une chaise mal réglée des douleurs lombaires, etc. Il n’existe pas de posture idéale, mais une alternance de postures permettant de rechercher le confort durant le travail. Outre la sensibilisation et la formation aux gestes et postures de travail adéquats, qui doit être relayée par les managers, la fourniture d’un mobilier performant (comme le bureau à hauteur réglable, qui permet de travailler debout ou assis) permet de prévenir les TMS.
- Du point de vue organisationnel
Les managers, surtout avec l’intensification du travail évoquée précédemment, doivent intégrer la prévention des TMS à l’organisation même du travail. Des éléments comme le non-respect des temps de pause, ou le non-remplacement de collaborateurs absents ont des effets néfastes avérés. Ainsi, une personne qui remplace un collègue absent va avoir plus de travail à accomplir, devoir s’adapter physiquement et psychologiquement à ses nouvelles tâches.
L’organisation influence aussi directement l’environnement de travail. À titre d’exemple, un collaborateur se trouvant dans un open-space où sont ponctuellement organisées des réunions à quelques mètres de lui verra sa concentration perturbée par un volume sonore inapproprié, donc source de fatigue supplémentaire, sachant que la notion de récupération est un facteur à analyser dans la problématique des TMS.
- Du point de vue social et QVT
Pour Franck Pennuen, la clarté des objectifs, les moyens pour les atteindre, le soutien et le climat social et aussi l’ambiance de travail dans l’entreprise ont une incidence décisive sur l’apparition du stress sur un individu ou une équipe, découlant pour certains collaborateurs vers des TMS. Prévenir ces derniers implique donc de travailler en profondeur sur les rapports sociaux, le soutien entre collègues et de sa hiérarchie, la solidarité (réf : rapport Gollac et Bodier, 2011).
On touche là à des thématiques relevant de la qualité de vie au travail (QVT). Si l’un des objectifs majeurs de toute politique de QVT est de réduire les risques psychosociaux (RPS, dont le burn-out est l’un des avatars les plus connus), il faut rappeler que ces RPS peuvent être un facteur déclenchant de TMS. L’expression « en avoir plein le dos » ne doit rien au hasard ! Une mauvaise ambiance de travail, des conflits non traités, un manque de soutien de la hiérarchie ou de solidarité entre collègues peuvent provoquer, selon les individus, des maux de tête, une prise ou perte de poids, et différents types de gênes qui peuvent s’installer et provoquer des troubles musculo-squelettiques.
En outre, dans un contexte d’emploi tendu où les opportunités sont moindres, de nombreux collaborateurs restent dans l’entreprise même si le climat de travail ou l’entente entre collègues les mettent en état de tension régulièrement.
Les managers sont en première ligne pour mettre en place et cultiver une ambiance de travail positive et un management bienveillant. Seule la mise en place d’indicateurs, de groupes de travail et de discussion pour libérer la parole et identifier les problèmes leur permettra d’élaborer un plan d’action apportant des réponses efficaces.
Les TMS sont une question d’autant plus importante à traiter pour l’entreprise qu’ils sont souvent le symptôme de problèmes allant au-delà de simples douleurs physiques. La première action de prévention contre ces troubles est d’ordre pédagogique : les managers doivent être en mesure d’expliquer les origines des TMS et comment y faire face, ce qui permettra aux collaborateurs de mettre en place des éléments pour se protéger. L’hygiène de vie individuelle des collaborateurs joue également un rôle, et c’est là que la démarche de prévention des TMS rejoint la démarche QVT : le sommeil, l’activité physique, l’alimentation… sont aussi des sujets sur lesquels l’entreprise doit informer, sensibiliser et agir.
Bio – Dirigeant de PSP Conseil & Accompagnement et partenaire de Le Chalet QVT, Franck Pennuen est formateur et consultant en prévention des risques liés à l’activité physique et diplômé du pôle Santé au travail de la faculté de médecine de Nantes. Après avoir exercé diverses responsabilités en entreprise, il a souhaité confronter les concepts scientifiques d’ergonomie ou de RPS à la réalité du terrain et se consacrer à la mise en place de solutions.