L’IBET, un indice solide au service d’une performance socioéconomique responsable
La question du désengagement des salariés, et de son coût, revient comme un serpent de mer dans les réflexions sur la performance des organisations. De questionnaires sur le niveau d’engagement des collaborateurs en enquêtes sur la QVT, le monde de l’entreprise peine à apporter des solutions. Pour mieux appréhender cette problématique, nous avons rencontré l’inventeur de l’IBET© (Indice de Bien-Être au Travail), Victor Waknine, associé-fondateur de Mozart Consulting et ardent promoteur de l’engagement réciproque en entreprise. Sachant que l’IBET peut se lire I bet[1]… sur le capital humain !
Quand vous fondez le cabinet Mozart Consulting en 2004 pour accompagner les entreprises dans le développement d’une performance socioéconomique « responsable », vous êtes en avance de phase. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans cette voie, jusqu’à créer l’IBET ?
Vous avez raison, on ne se réveille pas un matin en se disant : « Je vais inventer un indice de bien-être au travail » ! Il s’est donc passé quelque chose… En l’occurrence : une expérience douloureuse personnelle, un traumatisme vécu dans le monde du travail. Cela m’a fait réfléchir aux notions d’engagement et de désengagement. Et à l’inclusion du un dans le tout : quel est le lien entre le salarié, le un, et l’entreprise, le tout ?
Physicien de formation, je fais « naturellement » des rapprochements – avec la mécanique quantique, la thermodynamique, la physique des systèmes et des organisations. Et je considère l’organisation du travail comme « quantique », précisément : le collectif correspond à l’onde et les parties prenantes, aux particules. J’ai donc réalisé un travail scientifique, par petites touches. Cela a pris plusieurs années. Mon unique objectif était de décrypter, de cerner au plus près cette notion d’engagement. Étant ingénieur, je sais que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! Et qu’il est impossible de mesurer le positif sans décrire le négatif, car le premier n’est qu’une conséquence du second. C’est dans cette optique que j’ai créé Mozart Consulting, pour revisiter l’impact de l’engagement et du désengagement sur la performance économique. Autrement dit, sur l’EBIT[2] [Earnings Before Interest And Taxes, ndlr], ceci dans une perspective systémique.
Je précise par ailleurs qu’avant de fonder ce cabinet, je n’avais jamais été consultant : j’avais travaillé exclusivement pour créer de la performance collective, dans le cadre de la direction managériale d’entreprises.
Venons-en au concept de survaleur (ou sous-valeur) sociale de performance, que vous avez mis en exergue : le Goodwill, ou Badwill, social. De quoi s’agit-il ?
C’est en accompagnant une banque d’affaires américaine qui souhaitait s’orienter vers la finance responsable [les fonds ISR actuels, ndlr], que j’ai commencé à alerter mes interlocuteurs sur le risque social – dans l’analyse de leurs investissements. Car ils ne comprenaient pas que le non-aboutissement des prévisions ne résultait pas de raisons business ou stratégiques, mais opérationnelles… Ils m’avaient demandé comment faire le lien entre la performance et le management. Ma réflexion a été interrompue par la crise financière et économique de 2008 mais la vague de suicides chez Renault et France Telecom a provoqué en moi un nouveau sursaut, et un choc… Il se trouve que j’avais dirigé les hautes technologies de France Telecom durant 8 ans. En entendant mon ancien binôme[3] déclarer que les suicides étaient « l’affaire de la DRH ou de la direction de la communication » alors que lui-même était payé pour faire « de la stratégie et de l’innovation », j’ai voulu créer un indice aussi fort que l’EBIT, et dont l’impact serait équivalent. Car l’EBIT est LE chiffre qui détermine les décisions des organisations ! La vocation de ce nouvel outil était d’évaluer très précisément la performance sociale, et de mettre en évidence ses répercussions sur la performance économique. Mais il était hors de question de se contenter d’un questionnaire pour le construire ! Si l’on veut élaborer une mesure d’impact, il faut chercher ce qui ne fonctionne pas et en donner des preuves. J’ai donc modélisé un indice de bien-être au travail, qui mesure l’engagement – par le désengagement – et qui montre, en euros, l’impact que cela peut avoir sur la performance des entreprises. Une fois dotés de l’IBET©, les directions générales et administrateurs des organisations sont « obligés » d’en tenir compte.
Calculé sur une valeur maximale de 1, un IBET© supérieur à 0,85 témoigne d’un Goodwill social : les collaborateurs sont engagés. À moins de 0,85, l’organisation est en état de Badwill social : les collaborateurs sont désengagés, avec 3 niveaux possibles – « contraint » : 0,80 ≤ IBET < 0 ,85 ; désengagement : 0,75 ≤ IBET < 0,80 ; épuisement : < 0,75.
Pour vous, l’aspect déclaratif des enquêtes sur le climat social ou la QVT ne permet pas d’établir une véritable mesure…
Exactement. On ne peut pas « mesurer » le ressenti d’une personne. Une perception n’est ni une mesure, ni une preuve. Rien ne dit que le répondant a bien compris la question, ni qu’il exprime ce qu’il pense vraiment. Dans un questionnement traité sous l’angle du marketing, on trouve environ 25 biais cognitifs. Cela peut néanmoins s’avérer intéressant, si les contours sont bien précisés. Le cas échéant, cela crée de la confusion et cette dernière est sans doute la pire des maladies sociales.
Revenons à l’IBET©, que vous avez voulu situer au même niveau que l’EBIT. Il est indissociable de la notion d’engagement réciproque, n’est-ce pas ?
En effet, dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle, on ne peut s’engager qu’en fonction de l’engagement des autres parties prenantes. Pour un salarié, l’engagement va naître du sentiment d’utilité, du sentiment de compétence et du sentiment d’appartenance [= la motivation[4] intrinsèque, ndlr]. Là, on parle du bien-être au travail individuel.
Reste ensuite à savoir ce que propose l’entreprise. Dans cette perspective, le modèle que j’ai élaboré comporte deux outils : l’IBET©, qui identifie et mesure les impacts du désengagement, et le Référentiel de Vigilance Managériale (RVM©), qui permet d’agir sur les leviers d’engagement réciproque. Sachant que le RVM est une sorte de raison d’être managériale, qui doit être publié. Concrètement, les managers s’engagent à ce que leurs collaborateurs bénéficient d’une « qualité » dans leur travail, leur métier et leur environnement. Et ils proposent de co-construire des champs de vigilance. Un exemple avec l’autonomie : que signifie-t-elle dans l’entreprise A ? Dans l’entreprise B ? Etc. 12 champs de vigilance peuvent ainsi être explorés.
En parallèle, il est important d’appliquer l’IBET à toute l’organisation. L’indice se construit à partir de certaines données RH de l’entreprise : Taux de Non-Disponibilité lié à l’arrêt de travail de santé[5] (TND), Taux de Sorties Forcées par l’entreprise envers les collaborateurs (TSF), Taux de Désengagement Déclaré des collaborateurs envers l’entreprise (TDD). Il en résulte un Taux global des gravités de Maladie et Employabilité au Travail (TMET), qui sert de base de calcul de l’IBET. On mesure ainsi l’évolution du niveau d’engagement et de désengagement des collaborateurs et de l’employeur, au fil du temps. Si l’IBET d’une entreprise peut être comparé à celui « de référence » de son secteur, il est également capital de calculer, en son sein, celui des différentes activités, métiers et mailles socio-organisationnelles. Le marqueur utilisé est unique, mais objectif : ce qu’il indique s’est passé. Les preuves qu’apporte l’IBET relèvent de la loi – article L41.21-1 du Code du Travail. Les organisations ont l’interdiction absolue de prendre un risque sur la santé, la sécurité et l’employabilité de leurs salariés.
L’IBET© est un indice très structuré, qui s’élabore dans le cadre d’un projet. Quelle est la durée moyenne de déploiement, quand vous accompagnez les entreprises ?
Pour une organisation qui souhaite aller jusqu’au bout – à savoir : IBET© + RVM© + groupes témoins d’écoute (destinés à tous les profils, toutes les communautés auxquelles va s’appliquer l’IBET, l’écoute portant sur les engagements décrits dans le RVM©) -, il faut compter 3 mois. Si ces groupes témoins permettent d’identifier des dysfonctionnements, ils donnent aussi l’occasion de faire des propositions d’amélioration. Ces dernières viennent donc de la base [les salariés volontaires, ndlr], pas d’un expert !
Quant aux dysfonctionnements, il en subsiste parfois, malgré un IBET supérieur à 0,85 au sein d’une direction donnée. Car cette direction a elle-même un management (Codir, DG) qui peut occasionner des irritants. Et certains détails – un « réfectoire glauque » par exemple – créent de l’inconfort. De ce recueil de paroles va naître une action très concrète : faire en sorte que le réfectoire soit plus agréable.
Pour conclure, si je devais résumer le travail de Mozart Consulting, je dirais qu’il consiste à éclairer les confusions et à imprégner progressivement les consciences. D’où viennent la perte de sens dont se plaignent de nombreux salariés, ou les difficultés suscitées par un télétravail mal préparé ? Du manque d’engagement réciproque. Ce dernier doit permettre aux deux parties d’expliquer leurs attentes. Ces phénomènes naissent aussi de l’absence de mesures vérifiables et opposables. Il faut procéder comme le font les analystes financiers, qui s’appuient sur des données existantes, juridiquement opposables. Avec le modèle de l’IBET et ses déclinaisons, ma proposition de valeur vise la stratégie de l’entreprise et donc, sa direction générale, qui disposent ainsi de marqueurs fiables. Et le Goodwill social bénéfice à toutes les parties prenantes de l’organisation.
BIO EXPRESS – Victor Waknine
Victor Waknine est associé-fondateur du cabinet Mozart Consulting, l’entité dédiée au Capital Humain et à la Performance sociale du Groupe AESIO et de Territoria Mutuelle. Créateur du modèle socioéconomique de l’Indice de Bien Etre au Travail© (l’IBET) et du Goodwill Social©, il a vu ses travaux reconnus par l’Institut du Leadership de BPI, labellisés par le pôle de compétitivité mondial Finance Innovation et la Direction Générale des Entreprises de Bercy.
Ingénieur de formation (Polytech Lille), il a exercé des fonctions de direction générale durant plus de 25 ans au sein de grands groupes français. En 2000, il a obtenu l’Emmy Award de l’Académie des Sciences américaine pour ses travaux en imagerie virtuelle.
[1] IBET : Indice de Bien-Être au Travail. I bet : je parie.
[2] L’EBIT correspond au résultat net d’exploitation – au bénéfice avant déduction des charges, des produits d’intérêt et des impôts.
[3] L’ancien binôme de Victor Waknine est ensuite devenu PDG de France Telecom. Rappel du contexte : entre 2007 et 2009, 19 salariés se sont suicidés, 12 ont tenté de le faire et 8 ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail.
[4] Pour mieux comprendre comment nourrir la motivation grâce au mode de management : consultez les VISIONS D’EXPERTS du Dr Philippe Rodet sur notre blog.
[5] Sur la maladie ordinaire, l’IBET prend une hypothèse probabiliste fondée sur les travaux de l’OMS et de l’OIT en 2010, qui considèrent que les causes des arrêts maladie ordinaires viennent à 50 % de l’environnement du travail ou de son organisation.
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