L’oser dire, une compétence au cœur de l’efficacité – Manager de transition, #12
Lors de ses missions, un manager de transition challenge les process en place, quitte à éclairer certains sujets – pas toujours dans le sens du vent ! L’oser dire joue alors un rôle crucial pour avancer. De quoi s’agit-il ? Pourquoi cette dynamique mérite-t-elle d’être intégrée au fonctionnement des équipes en place – et à la culture d’entreprise ? Réponses avec le nouveau volet de notre série consacrée aux principales compétences mobilisées par les managers de transition pour réussir leurs missions.
Par Emmanuel Darcourt, partenaire de CAHRA.
Quel est le rapport entre la conquête spatiale et l’importance de l’oser dire ?
À ce stade, vous ne voyez sans doute pas le lien… mais vous allez comprendre. Pour cela, un flashback est nécessaire. 1986 : la navette spatiale américaine Challenger explose en plein vol. D’après un documentaire d’ARTE, ce tragique accident illustre, à l’extrême, les conséquences négatives d’un oser dire trop peu affirmé, et du manque d’écoute de ce qui est exprimé. À l’époque, les préoccupations relatives aux défauts de conception de la navette auraient été largement ignorées. Le drame qui en a découlé a provoqué le décès des sept membres d’équipage de la navette. Un ingénieur aurait pourtant averti sa hiérarchie des risques, mais cette dernière n’aurait pas donné suite. Pression des résultats, enjeux financiers et, aussi, culture du conformisme, font partie des possibles éléments explicatifs. D’autres hypothèses ont été avancées : par exemple, la Nasa aurait décidé de maintenir le lancement en toute connaissance du risque encouru – empêchant ainsi l’expression de l’oser dire.
Que « retenir » de ces différents scénarii du drame de Challenger ? L’importance de la sécurité psychologique et de l’écoute active pour une équipe, sans doute, avant tout. Les collaborateurs doivent se sentir en confiance pour s’exprimer sans crainte de représailles. Par ailleurs, l’oser dire ne se résume pas au fait de s’opposer. Cette compétence, qui s’inscrit dans la lignée des soft skills, implique de s’affirmer à bon escient pour exprimer un point de vue, un ressenti, une émotion, dans une perspective constructive.
Quelle est la place de l’oser dire dans une organisation – et lors d’une mission de transition ?
En entreprise, la qualité des relations a un impact majeur sur l’ambiance de travail, la cohésion d’équipe – et sur la performance. Or l’oser dire en est l’un des piliers ! Sachant que cet oser dire implique également un oser entendre, oser réfléchir, oser décider, et oser vérifier les effets – pour répondre aux éventuelles inquiétudes en mettant en avant des éléments concrets sur les actions engagées. L’oser dire va donc bien au-delà du partage de l’information. Il permet de donner du feedback, en mobilisant par exemple la technique du sandwich : une tranche de pain, celles des éléments positifs ; la garniture, avec les opportunités de progrès ; la seconde tranche de pain, composée des encouragements pour la suite. D’autres approches et méthodes vont également faciliter l’oser dire, avec un même principe : on n’évacue pas les points problématiques, mais on met en valeur les opportunités de progrès.
Voilà pourquoi, au début de chaque mission de transition, il est intéressant de privilégier les entretiens individuels – avec des questions orientées vers la démarche de changement. Il s’agit ainsi d’encourager l’oser dire : quelles sont les forces de l’équipe ? Ses opportunités de progrès ? Ses ambitions ? Quels indicateurs de réussite avons-nous intérêt à suivre ? Cette trame induit l’idée que les ressources sont là, orientées vers le succès.
Quel contexte pour faciliter sa mise en œuvre, avec la bonne « boite à outils » ?
Le manager de transition ne fait pas partie du système, cette posture est très protectrice. Pour les salariés toutefois, la question se pose différemment. Le passage d’un fonctionnement très hiérarchisé et « en silos » à une organisation plus ouverte à l’expression des collaborateurs, est un élément qui va contribuer à l’oser dire. Une culture interne soutenant cette dynamique est indispensable. Selon sa nature, le cadre culturel va donc faciliter – ou compliquer – l’oser dire.
Le deuxième ingrédient tient dans une « boite à outils » favorable à l’expression et à l’écoute : la communication non violente, le fait d’être à l’écoute de soi-même, l’intelligence émotionnelle… Puis, troisième dimension, l’animation managériale. Pour favoriser l’oser dire, il est indispensable de prendre soin de la relation, de s’accorder des moments de qualité, en face à face ou en groupe. Pendant les missions de transition[1], une fois par mois, le manager de transition échange avec le donneur d’ordre, côté client, et avec le directeur de mission, membre de CAHRA. La préparation de cette discussion donne l’occasion de faire le point et de « passer » des messages difficiles, si besoin. L’objectif est de pratiquer un oser dire « élégant », qui exprime les choses nécessaires au bon moment et de la bonne façon, avec un impact positif à attendre sur la dimension relationnelle et l’ouverture du système.
Comment réunir les conditions de l’oser dire ?
La façon d’exprimer une pensée, un ressenti, une émotion, est aussi importante que le « contenu ». Ainsi, il est recommandé de parler à la première personne, sans agressivité, dans une logique d’apport d’information utile – au donneur d’ordre chez un client, ou aux équipes à manager. L’oser dire devient ainsi un antidote, pour ne pas subir, et un moteur pour aller toujours plus loin.
Par ailleurs, mieux vaut éviter de s’inscrire dans une posture d’expert campant sur ses positions ! À l’inverse, une logique collaborative de partage d’information et de recherche de solution s’avère appropriée. Et c’est aussi une question de moment : l’interlocuteur n’est pas systématiquement prêt à entendre. Il faut donc oser être à l’écoute d’autrui, dans les deux sens.
L’oser dire relève in fine d’une coresponsabilité partagée entre l’émetteur et le récepteur. Celui qui souhaite s’exprimer a intérêt à travailler son assertivité, quitte à revisiter ses stratégies habituelles – par exemple, la fuite en cas de désaccord. Il lui faut aussi être à l’écoute de son propre ressenti, de ses intuitions, comme le confirment les apports des neurosciences, avec notamment la théorie des marqueurs somatiques. L’oser dire implique donc d’être à l’écoute de ces micro-signaux qui incitent, ou non, à s’exprimer. Du côté du récepteur, il est important de se mettre en posture d’accueil de ce qui est dit, de façon bienveillante, sans a priori ni réticence. Cette écoute peut être considérée comme un investissement.
Par ailleurs, les temps d’expression et d’écoute gagnent à être organisés – basés à la fois sur une intention claire, comme le partage d’informations, et sur un cadre de fonctionnement, pour faire vivre la règle des 3 P : la protection, apportée par un cadre sécurisant ; la permission, c’est-à-dire la liberté d’expression ; et la puissance du dialogue.
L’animation de cette dynamique peut aussi nécessiter de clarifier son style de management, par exemple en se gardant d’être directif lors d’une phase de consultation. C’est ce qui va permettre au manager de prendre une décision éclairée par le regard des autres.
Pour aller plus loin, dans un contexte de coaching Agile d’un collectif de travail, il est important de prendre un temps pour calibrer l’objectif. Plutôt que de partir dans toutes les directions, les membres du collectif choisissent la plus petite action de changement, ce qui va avoir un effet démultiplicateur très intéressant sur la façon de travailler et sur la qualité de l’échange. Il s’agit d’encourager à oser dire ce qui apporte réellement de la valeur. Au lieu de tout partager, ce qui doit être dit est priorisé. Une approche qui renvoie au cadre de travail le plus populaire de l’Agile, Scrum, basé sur les cinq valeurs F.O.R.C.E : F pour focus, O pour ouverture, R comme respect, C comme courage, et E comme engagement.
L’oser dire est avant tout un environnement favorable à l’égalité et à la réciprocité, au respect d’autrui. Pour se mettre en situation optimale de réussite collective, il est important de le compléter par d’autres postures managériales : développer une culture de la sécurité[2] ; favoriser la collaboration ; clarifier les objectifs et les attentes. Ou encore : encourager la créativité et l’innovation ; mettre en place la supervision adéquate. L’idée étant de renouveler la relation et, plus précisément, la façon de communiquer dans la relation. Un enjeu clé pour tout manager de transition.
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[1] Cette articulation concerne les missions de transition opérées par CAHRA.
[2] La disparition du sous-marin Titan, conçu par l’entreprise américaine OcenGate pour s’approcher de l’épave du Titanic, en est une illustration : l’ancien directeur des opérations marines de l’entreprise, qui s’était inquiété pour la sécurité des passagers lors de la conception, dès 2018, avait été licencié.