Management : comprendre le processus d’échec pour se libérer des bénéfices négatifs !
La culture managériale française accorde peu de droit à l’erreur. Or, dans un environnement VICA (volatil, incertain, complexe, ambigu), la plupart des entreprises revoient leurs modes d’organisation du travail ainsi que leur management. Les transformations qui en résultent plongent alors certains collaborateurs dans la recherche de bénéfices négatifs [1] pour maintenir un cadre de référence identifié. Comment briser cette spirale et créer une culture où échec et réussite ne soient plus perçus comme deux polarités opposées ?
Prendre conscience du processus qui conduit à l’échec dans le cadre du management
Quiconque décide d’explorer la problématique de l’échec a tout intérêt à s’intéresser au « comment » plutôt qu’au « pourquoi ». En effet, selon le coach et formateur des managers de transition CAHRA Claude Bouyer, « une multitude de variables et de facteurs amènent à échouer, ou à réussir ». Or certains d’entre eux sont du ressort de l’individu concerné tandis que d’autres lui échappent ! Le regard systémique porté sur les événements permet une prise en compte multifactorielle et comportementale, en intégrant les mécanismes de défense, croyances et méconnaissances humaines.
Au regard du management, il s’agit de « déprogrammer » l’échec, les conditions actuelles n’étant plus celles du passé.
Disposant d’une vaste expérience de l’entreprise, le directeur des opérations de CAHRA, Patrick Ceglarek, aborde la problématique sous l’angle de la différence d’approche culturelle de l’échec dans le monde anglo-saxon et en France. « Chez nous, l’on passe très vite de « j’ai raté » à « je suis un raté [2] ». En cause, plus qu’un glissement sémantique, une croyance limitante – « je suis ce que je fais » -, présente dans la construction de certains types de personnalités.
Les bénéfices négatifs (aussi appelés bénéfices secondaires dans une attitude d’évitement d’un inconfort et/ou du danger perçu en lien avec l’échec) ont trait à cette approche. Lors d’un changement organisationnel, technique ou managérial, certains collaborateurs vont adopter une position d’autoprotection en tentant de « démontrer » que l’échec est inexorable. Sous-entendu : eux-mêmes ne sont PAS capables de réussir. Préférant une situation familière y compris lorsqu’elle est insatisfaisante, ils s’accrochent à leur pôle « conservateur » sans oser s’aventurer vers la « mobilité ». Le « voyage rétroactif » au sein du processus ayant conduit à un échec préalable, n’a donc pas été réalisé.
Pour intégrer la vision de la réussite comme « une succession de tentatives ayant parfois échoué, avant d’aboutir », le collaborateur doit prendre conscience « des signaux auxquels il n’a pas suffisamment prêté attention, via des mécanismes d’évitement et de non-permission ».
Les bénéfices négatifs s’inscrivent dans des comportements limitants
Remonter aux croyances limitantes qui affectent aussi bien le manager que le collaborateur ou le PDG, dans tout type de structure sociale (entreprise, famille, école…), permet de comprendre comment certains collaborateurs vont « opter » pour un ancrage négatif plutôt que de s’engager dans la voie du changement, pourtant génératrice de perspectives.
Ces croyances constituent l’une des manifestations des « méconnaissances [3] », lesquelles ont été fortement ancrées dès l’enfance ; elles continuent à être activées par l’adulte. Par un mécanisme psychique interne « de protection », l’individu minimise ou ignore certains aspects de lui-même, des autres ou de la situation. Il omet de façon inconsciente une ou plusieurs informations utiles à la résolution d’un problème ou à la satisfaction d’un besoin. Cette perception tronquée de la réalité réduit l’individu à la passivité face à une situation donnée. Si ce mécanisme est inconscient, il est tout de même « volontaire » dans le sens où la personne produit des arguments, erronés, pour valider sa croyance.
Pour Patrick Ceglarek, la peur d’être jugé est extrêmement présente chez les collaborateurs « recherchant » des bénéfices négatifs. Il s’agit précisément d’un type de méconnaissance.
En pratique : comment désamorcer la tentation des bénéfices négatifs
Lors de la communication aux équipes sur les objectifs de la mission dans l’entreprise, les managers de transition observent fréquemment des réactions de protection ou de refuge de la part de certains collaborateurs ; Patrick Ceglarek l’indique clairement. Le même type d’argument revient alors : ce que le manager de transition veut faire ne fonctionnera pas, untel ou untel ont déjà essayé et ils ont échoué.
Selon le coach Claude Bouyer, il s’agit de réagir dès ce stade. En termes de management, une écoute active permet d’engager un questionnement ouvert, pour « écouter ET entendre les faits ainsi que leur impact émotionnel ». Chaque aspect a son importance. Comment reconstruire une relation ou un mode d’organisation solides si les émotions et le ressenti occupent encore les corps et les esprits ?
Des questions telles que :
- Comment le collaborateur a-t-il vécu la situation ?
- Qu’est-ce que cela a provoqué ?
- Comment la décision a-t-elle été entérinée ?
- Quand a-t-il perçu le ou les dysfonctionnements ?
Témoignent de l’écoute qui est à l’œuvre et de « l’intégration » des propos de l’interlocuteur.
Enfermé dans son comportement limitant, celui-ci va malgré tout revenir sur « ce qui n’a pas marché ». Il s’agit alors de l’extraire de sa perception bloquée.
- Les conditions sont-elles identiques aujourd’hui ?
- A-t-il envie de réussir ?
- Quels sont ses besoins à cette fin ?
Il est possible que l’interlocuteur s’accroche à sa méconnaissance ; une petite voix lui dit : « je vais prouver à ce manager de transition que le changement ne marchera pas ». Ce dernier fera alors preuve de clarté et de détermination en interrogeant ce collaborateur : pourquoi un manager de transition intervient-il dans l’entreprise selon lui ?
Renouveler le management et le niveau des échanges grâce à l’intelligence relationnelle
Éveiller les collaborateurs à leurs comportements limitants requiert une grande vigilance en termes de management. « Dans son INTENTION, il est très important que le manager de transition se concentre sur la manière dont il va déclencher l’adhésion des collaborateurs, explique Claude Bouyer. Leurs motivations individuelles constituent des leviers et nécessitent d’être renforcées, via des outils tels que les questions ouvertes ou les conversations courageuses. »
Le fil rouge de la démarche consiste à changer le niveau des échanges pour établir une qualité relationnelle. Celle-ci va en effet nourrir la confiance et l’estime de soi des collaborateurs, transformant la perception des solutions proposées mais aussi, le regard porté sur la situation. Gardons à l’esprit que « tout comportement a une intention positive [4] » pour la personne qui l’exprime ou le met en œuvre car il répond à une fonction d’adaptation. Y compris s’il semble gênant ou paradoxal aux yeux d’un tiers.
En apprenant du processus de l’échec, le système et les individus qui le composent renforcent leurs liens – l’intelligence relationnelle dans l’organisation – et leurs compétences, tout en transformant le management. Si l’échec peut être comparé à une « énergie mal orientée » selon la formule de Claude Bouyer, les bénéfices négatifs correspondent à un désir de reconnaissance ou de résolution bafoué, finalement retourné contre le système – et soi-même.
Bios express
Directeur des Opérations au sein de CAHRA By H3O, Patrick Ceglarek est spécialisé dans la production industrielle. Il a notamment dirigé la filiale espagnole de l’entreprise Tristone Flowtech, puis le site de Trelleborg Fluid System en Slovaquie. Patrick Ceglarek est par ailleurs membre du réseau Allizé Plasturgie.
Coach professionnel Management et Leadership, en charge de la formation des managers de transition chez CAHRA, Claude Bouyer est passionné par le développement des personnes et des équipes. Posant un regard curieux sur l’univers, il est directeur associé de Cuestiones Clave, une entreprise de coaching.
[1] Les bénéfices négatifs sont l’un des éléments qui structurent le processus de l’analyse transactionnelle (AT), discipline fondée par le psychiatre américain Eric Berne.
[2] Pour approfondir : Les Mirages de la certitude de Siri Hustvedt (Actes Sud).
[3] Les méconnaissances sont l’un des concepts clés de l’analyse transactionnelle.
[4] Postulat fondamental de la PNL.