Mission de transition : comment co-construire un collectif engagé ?
La mission de transition que nous allons parcourir ensemble s’effectue dans le contexte suivant : le responsable d’un service [1] s’apprête à quitter l’entreprise après y avoir évolué durant 20 ans. Sachant que cette ETI doit relever d’ambitieux challenges et que le service concerné n’est plus au « bon niveau » pour accompagner cette croissance. Deux objectifs me sont fixés : 1) recueillir l’expérience du responsable avant son départ et m’en nourrir 2) faire de ce service un acteur majeur des projets de l’entreprise.
Pour « ouvrir » cette mission de transition : j’engage un diagnostic
C’est le cas dans toute intervention CAHRA : le manager de transition apporte son regard sur la situation – une vision externe – pour proposer des axes de transformation. Ce bilan vient corroborer, ou non, le diagnostic (interne) établi par le donneur d’ordres.
En l’occurrence, au regard des constats que j’effectue, je vais devoir :
- Trouver les leviers pour collecter et partager les 20 années d’expérience du manager avant son départ ;
- Développer l’autonomie des équipes afin d’assurer la continuité ;
- Identifier les relais pour intégrer le nouveau service dans les processus de réflexion et de décision de l’entreprise.
Au cours de cette mission de transition, j’agirai sur ces trois axes d’intervention via deux questionnements majeurs, en vue d’engager les actions permettant d’y répondre.
Questionnement n°1 : comment capter toute l’expérience d’un homme qui était au cœur du fonctionnement du service ?
Si j’échoue à résoudre cette « équation » humaine, le risque est le suivant : perdre l’historique et se retrouver démuni face à la structuration des décisions. Il faut donc que je parvienne à rendre le responsable de service actif, participatif et bienveillant.
Il est d’abord crucial de l’écouter. Il aborde ainsi les sujets qui fâchent ainsi que son amertume mais aussi ses joies, ses réussites, ce qu’il l’a fait vibrer. Cela permet d’éviter d’aborder frontalement des sujets délicats, dans un premier temps. En filigranes, j’identifie certains codes de fonctionnement de l’entreprise, appréhendant beaucoup mieux l’écosystème interne et les erreurs potentielles que j’aurais pu commettre. Parfois, il existe des rapports de force, des chasses gardées dans les organisations … Cela vous rappelle quelque chose ?
Je le vois tous les jours et le laisse me parler de ce qui fonctionne bien dans le service. L’un des objectifs du manager de transition que je suis est de l’aider à être reconnu avant son départ ; nous construisons une relation basée sur le respect et la confiance. Je l’accompagne dans la transmission de son savoir, ce qui « matérialise » les qualités de son travail passé.
À partir de là, le responsable de ce service perçoit le sens de son engagement jusqu’à ce qu’il quitte l’entreprise. De ce fait, il rentre dans un mode collaboratif et va montrer sa valeur auprès des équipes. Sa posture de bienveillance lui apporte en retour une attention, un respect de ses équipes, et de l’écosystème interne. Désormais inscrit dans une dynamique positive, qui fait sens, il s’assure que son savoir est compris de tous. Il formalise même un mémo explicatif des logiques de décision [2].
- In fine, le comportement des personnes reflète souvent l’environnement dans lequel ils évoluent.
- Lors d’une mission de transition, le manager dédié doit être capable de créer une relation saine avec ses interlocuteurs, basée sur le respect et la bienveillance.
- L’engagement n’est pas « défini » une fois pour toutes, il s’avère au contraire ponctuel, dépendant du contexte. Il est important de pouvoir agir sur les motivations qui sous-tendent l’engagement. En l’occurrence : donner au responsable de ce service la possibilité de partir en étant fier de ce qu’il a accompli et « d’exister » de nouveau au sein de l’entreprise.
- Un manager de transition doit savoir accepter que la vérité de ses interlocuteurs soit « la leur ». Se sentant écoutés et non jugés, ceux-ci se livrent et sont alors en mesure d’accepter que leur avis ne soit pas partagé, voire critiqué.
Questionnement n°2 : comment redonner du sens au travail de chaque membre du collectif pour les rendre proactifs ?
Autrement dit, comment ne plus s’appuyer sur une seule personne, centralisatrice, et retrouver une dynamique d’équipe. Sachant que ce service s’est enfermé dans une vision individuelle, chaque membre de l’équipe ayant adopté une posture attentiste.
À cet égard, l’objectif de cette mission de transition est de redonner confiance à chacun, de développer l’énergie créative, de réveiller l’envie de prendre des risques et d’utiliser la force collective, souvent clé du potentiel individuel.
Pour constituer un collectif engagé, tout le travail d’analyse des situations et toutes les actions doivent être co-construites avec l’ensemble de l’équipe. Mais comment permettre à chacun de révéler ses compétences et de devenir force de proposition ?
- En tant que manager de transition, je dois tout d’abord croire en la capacité de l’équipe de se transformer. Sinon, impossible d’en convaincre les autres !
- Il est ensuite crucial :
=> De passer du temps à identifier les blocages individuels ;
Tout le monde n’a pas les mêmes envies, c’est d’ailleurs la force d’un collectif de ne pas penser ni faire la même chose.
=> De mettre en place une organisation de service où chacun puisse s’exprimer.
Les collaborateurs expérimentés partageront des erreurs qu’ils ont pu observer ou commettre, tandis que les nouveaux feront part d’idées inédites. Chacun trouve ainsi sa place dans le collectif.
Cette organisation, qui a été co-construite avec l’équipe, permet d’impliquer pleinement ses membres. Ceux-ci perçoivent mieux le sens de la démarche ou du projet.
=> De faire comprendre le rôle de l’erreur dans la performance.
Celle-ci s’obtient en osant, pas en suivant. Lorsque les collaborateurs ont peur de l’échec, celui-ci n’étant pas reconnu, ils n’effectuent plus que ce qui est « sûr ». Pour oser, il faut être en confiance vis-à-vis de soi-même, de ses propres compétences, et de son environnement.
=> De mettre en place des séances de « confrontation » collective.
Les membres du service doivent saisir que ce que l’on attend d’eux est qu’ils apportent une solution, et non leur solution. La confrontation de ses propres idées, de ses craintes ou de ses peurs, avec l’ensemble du collectif, s’avère décisive. Cela implique un changement de culture de travail : le fait de demander de l’aide, ou son avis, à un collègue, ne doit plus être perçu comme un aveu de faiblesse.
=> D’initier un moment collectif d’échanges de 10 minutes, tous les matins.
Un collectif s’entretient et se cultive. Ce moment va permettre de démarrer la journée ensemble et de partager les réussites comme les problèmes. Chacun existe par lui-même, tout le monde disposant de la même possibilité de parole. Toutefois, si un collaborateur n’a rien à dire, il n’est pas « tenu » de s’exprimer ; l’idée n’est pas de rajouter de la contrainte à la contrainte ! Le retour de la confiance et de l’engagement sont clairement visés mais cela s’effectuera au rythme de chacun.
Moyennant l’instauration de ce type de rituel et de mode de fonctionnement, le manager de transition permet au collectif de trouver ses propres règles ; les membres de l’équipe sont capables d’évoluer de manière autonome, et volontaire, dans la recherche de leurs propres solutions. La fin de la mission de transition se profile ainsi dans la sérénité.
Le modèle du manager de transition procédant par injonctions successives – il n’y a qu’à, il faut qu’on – relève de l’aberration ! Lors d’une mission de transition, quel qu’en soit le contexte, la transformation se réalise AVEC les équipes. Leur autonomie et leur performance sont davantage une affaire de confiance que de compétences. Pour ce faire, il est essentiel de (co)construire un véritable collectif, puis de savoir le cultiver [3].
[1] Dont je vais assumer la fonction, de manière transitoire.
[2] Il formalise ce mémo lors de congés, choisissant donc de travailler pour le futur de l’entreprise durant une période de repos.
[3] Cela passe aussi par le respect de son lieu de travail : lorsque des personnes ont le sentiment de ne plus « compter », elles ont souvent tendance à négliger leur cadre de travail. L’écosystème associe alors le bazar qui règne dans un service au mode de travail de ses membres.