Mode de management : cap sur le bon sens et la confiance réciproque, avec Gaël Chatelain-Berry
Depuis la parution de Mon boss est nul mais je le soigne en 2017 [1], Gaël Chatelain-Berry n’a de cesse de débusquer les pratiques aberrantes de managers dépassés dans l’exercice de leurs fonctions. Son objectif est-il pour autant de les stigmatiser ? Certainement pas. L’idée est bien d’identifier les mécanismes qui conduisent à adopter un mode de management inadapté, pour aider les professionnels en difficulté – et leurs équipes ! Rencontre de Cahra management de transition avec le prolifique conférencier, consultant et auteur.
Pour illustrer certains modes de management désastreux, pourtant fréquents dans les organisations, vous avez créé le personnage de BoB, le pire manager du monde [2]. Quelle était votre motivation initiale ?
Durant la vingtaine d’années que j’ai passées en entreprise, j’ai accompagné des équipes de 20 à 200 personnes. Dans ce cadre, j’ai également managé des managers. J’ai alors fait le constat d’un « niveau » insuffisant en la matière, voire catastrophique ! En disant cela, je ne les vise pas en tant que tels. Il s’agit juste de reconnaître que nos grandes écoles et nos universités ne forment pas au management. En France, le fait de voir le management comme un métier, qui s’apprend, est très récent. Pourtant il ne suffit pas d’être le plus ancien ni le plus compétent dans son domaine pour devenir manager. La relation managériale repose avant tout sur les soft skills – l’écoute et l’attention notamment.
Toutefois – j’insiste -, dire que le mode de management est « mauvais » ne signifie pas que les managers le sont ! Il est donc temps d’accompagner ces professionnels pour ne plus les mettre dans des situations impossibles qui ont des répercussions néfastes sur leurs équipes, trop souvent. N’oublions pas que la France est le n°2 mondial du burn-out ! Ma motivation profonde prend ses racines dans ce terrible classement.
Les écoles de management proposant a minima un éveil aux soft skills, voire un réel développement de ces compétences, ne sont-elles pas de plus en plus nombreuses ?
Pour moi, le chemin est encore long. Avant la pandémie, j’avais effectué un sondage auprès de ma communauté [sur LinkedIn et Twitter, ndlr], en m’adressant aux jeunes diplômés : 95 % d’entre eux déclaraient alors n’avoir reçu « aucune formation au management ». Il y a donc un décalage entre les programmes affichés et la réalité perçue.
Cela dit, les écoles de commerce et les écoles d’ingénieurs forment de jeunes personnes dans l’optique de leur employabilité immédiate. Or, à bac + 5 quand on entre sur le marché du travail, on ne devient pas directement manager. Ce n’est qu’au bout de 3, 4 ou 5 années d’expérience que ces jeunes professionnels accèderont à de telles fonctions. D’où la suggestion suivante : pourquoi ces écoles ne proposeraient-elles pas des « stages » – de 15 jours seulement, peut-être – à leurs anciens élèves devenus managers ?
En parallèle heureusement, j’observe un engagement de plus en plus significatif des entreprises en faveur des formations managériales. Elles ont, objectivement, tout à y gagner – et leurs collaborateurs aussi !
Mettons-nous dans la peau de BoB, ou de tout autre manager un peu « égaré ». Quelles peuvent être les pratiques inadéquates en matière de management à distance ou hybride, par exemple ?
J’ai entendu parler d’une initiative – malheureuse ! – qui s’inscrit tout-à-fait dans cette perspective : un manager a demandé à ses équipes de se mettre en visio, dès 8h30 et jusqu’à 18h30 ! L’idée étant de faire « comme si elles étaient en présentiel ». Dans le cas du travail en contexte hybride, l’exigence – implicite – de présentéisme s’avère également délétère.
Ces pratiques peuvent prêter à sourire au premier abord mais les chiffres sont inquiétants : 10 % des salariés français ont connu ou vont connaître un burn-out [3]. Au-delà de notre 2e place à cet égard, la France est aussi n°2 en matière d’absentéisme. Or la 1re cause de ce phénomène est le stress généré par le management !
L’exemple du télétravail me semble significatif. Les grands groupes l’ont intégré dans leur organisation du travail – parce qu’ils n’avaient pas le choix, leurs problématiques de recrutement devenant critiques. Les patrons de PME en revanche font de la résistance… Ils ne se rendent pas compte que c’est l’une des principales attentes des jeunes diplômés ! Je ne parle pas ici du télétravail subi durant les confinements, ni du télétravail à temps complet qui correspond à un mode de fonctionnement spécifique, nécessairement choisi.
Qu’on se le dise : le temps des réunions le vendredi à 18h30, est terminé ! Idem pour les réunions d’équipe à 13h, pour des salariés travaillant à distance. Celles et ceux qui ont des enfants en bas âge ne l’acceptent plus. Si l’effacement des frontières entre vie pro / vie perso a pu paraître avantageux aux entreprises au 1er abord, elles réalisent aujourd’hui que les générations Y et Z ne ressemblent pas à la génération X, prête à « calquer » sa vie personnelle sur sa vie professionnelle. Sachant que, dans des métiers toujours plus nombreux, le pouvoir s’inverse ! Cela dépasse largement le périmètre des développeurs informatiques.
Revenons au « chevet » de BoB : pourquoi impose-t-il à ses équipes une présence H24 ou presque avec leur webcam en fonction ?
Parce qu’il manque de confiance en ses équipes ! La grande majorité des managers de plus de 40 ans imagine que la confiance la plus importante est de nature descendante. Or, pour moi, la confiance ne peut être que réciproque.
Faisons un parallèle avec le transport aérien : si les passagers découvrent que le commandant est ivre, ils ne monteront pas dans l’avion. Idem si, une fois installés, le pilote fait des annonces floues : « D’ici quelques heures, je ne sais pas combien, nous atterrirons à New York, ou à Los Angeles, ou peut-être à Mexico ». Force est de constater que de nombreux managers ne donnent pas de direction ou ne parviennent pas à inspirer confiance. Dès lors, les collaborateurs ont envie de partir.
Chacun de nous a besoin de sens ; la pandémie a illustré cela de façon saisissante. Et la question du sens inclut également celle du bon sens ! Je travaille beaucoup sur cet ingrédient-là car il me semble capital d’y « ramener » les managers.
Pour œuvrer à un mode de management plus « adapté » et attentif aux collaborateurs, quels sont les leviers d’action dont disposent les différentes parties prenantes de l’entreprise ?
Pour les managers, l’un des « outils » les plus efficaces est de demander à leurs collaborateurs de se réunir – sans eux – durant 1h. Objectif : remplir un tableau avec 2 colonnes. Dans la 1re, ils indiquent les points positifs du mode de management déployé auprès d’eux ; dans la 2nde, les axes d’amélioration. Moyennant la règle suivante : chaque point mentionné doit être validé par l’ensemble de l’équipe. La libération de la parole est clé. Trop de managers ont l’impression que les « managés » sont nécessairement en opposition. Je ne le crois pas… Une grande majorité de collaborateurs a envie de progresser et que l’ambiance de travail soit positive.
In fine, il est important que les managers acceptent de ne plus avoir la maîtrise de tout. Demander aux collaborateurs de se montrer plus autonomes implique un parallélisme qui passe par la confiance accordée – et l’absence de « marquage au corps » des salariés. Il est important de parler, d’écouter, de consulter, pour construire un nouveau paradigme.
BoB et tous les managers en difficulté doivent donc développer un mode de management nourri de bienveillance. Est-ce – vraiment – suffisant ?
J’en suis persuadé. Car la bienveillance nécessite du courage, par exemple. Il ne s’agit pas de taire les problèmes, ni d’être prêt à tout pour « être aimé » par ses équipes ! Un manager bienveillant cherche à se montrer juste, à révéler des lacunes éventuelles pour que ses collaborateurs puissent « grandir », à les accompagner au mieux. Certes, l’exercice d’une fonction managériale est difficile. C’est aussi très stimulant ! Il s’agit surtout d’un choix. En l’effectuant, on « accepte » de fait les difficultés que l’on va ensuite rencontrer.
Je reviens à la 2e place mondiale de la France en matière de burn-out. Au même titre qu’il a fallu attendre la vague de suicides chez France Telecom ou Renault pour réaliser que la qualité de vie au travail était importante, c’est la pandémie qui a révélé le caractère crucial du management de proximité. Ces managers-là ne sont pas des « passe-plats » ! Et, parce qu’ils sont importants, la pression – humaine – qui s’exerce sur eux est significative. Le management de proximité est primordial. Et le métier de manager s’apprend. Tout comme s’apprennent les bases de la bienveillance. Savez-vous que l’un des 1ers facteurs de démotivation des salariés français tient dans le fait que leur manager ne leur dise pas « bonjour » le matin ? Ce b.a-ba de la politesse et du respect d’autrui n’est pas pratiqué dans de nombreuses entreprises. Les grandes théories du management ne devraient jamais éclipser les attentions premières ni le bon sens. En revenant à ce type de fondamentaux, on pourrait découvrir que l’entreprise n’est pas nécessairement un endroit violent. La perspective est stimulante, n’est-ce pas ?
[1] Mon boss est nul mais je le soigne, éditions Marabout, 2017.
[2] Présent pour la 1re fois dans Mon boss est nul mais je le soigne, le personnage de BoB est au cœur de la web série Les CONseils de BoB (saison 2021 : Just BoB). Il y est interprété par Grégory Le Fourn.
[3] Selon le nouveau volet de l’enquête sur la santé psychologique des salariés du cabinet Empreinte humaine, le nombre de cas de burn-out « explose », bondissant de 25 % de mai à octobre 2021.
BIO EXPRESS
Conférencier, consultant et formateur de managers sur des cycles courts, Gaël Chatelain-Berry œuvre en plusieurs dimensions en faveur de la bienveillance intégrée au management, jusqu’à atteindre le Feelgood Management. À savoir : une forme de management dans laquelle les collaborateurs ET le manager se sentent bien. Egalement auteur (« Sois un homme ma fille » – 2021 ; « Mais qui a tué Bob ? » – 2020 ; « Les 10 commandements de la bienveillance en entreprise » – 2019 ; « Mon boss est nul mais je le soigne » – 2017 ; entre autres), il est chroniqueur pour Psychologies Magazine et LCI. Son podcast Happy Work est l’un des plus écoutés en matière de bien-être au travail. Dans une autre vie, Gaël Chatelain-Berry a managé des équipes de 20 à 200 personnes chez TF1, CANAL+, NRJ, iConcerts ou l’INA.