Performance sociale des entreprises : un levier de performance globale
Mesurer l’impact de la performance sociale sur sa consœur globale : l’objectif pouvait sembler périlleux. C’est pourtant ce qu’a réussi le groupe Malakoff Humanis sous la houlette de sa directrice des Services, Anne-Sophie Godon-Rensonnet. Rencontre d’une femme de conviction, passionnée par l’humain et prête à déplacer des montagnes pour donner toute sa place à un « capital » qui a trop longtemps joué les seconds rôles en entreprise, en termes de reconnaissance ou de valorisation.
En 2019, Malakoff Humanis lance sous votre impulsion [1] l’Indice du Capital Humain en Entreprise, pour mesurer la corrélation entre le degré de prise en compte du capital humain – la performance sociale de l’organisation – et sa performance globale. Quelle a été la genèse de ce projet ?
Le point de départ de ce travail était de confirmer l’hypothèse selon laquelle la performance sociale constitue un levier de performance globale. Chez Malakoff Humanis, agir en faveur de l’humain fait partie de notre ADN et nous sommes convaincus qu’une approche, une stratégie human centric, sont sources de performance. Encore fallait-il objectiver ce lien et le mesurer, être en mesure d’en donner des preuves.
Nous avons donc construit un indice qui mesure : 1) les actions menées par les entreprises en matière de performance sociale, sur cinq grandes dimensions – création et partage de la valeur, santé et qualité de vie au travail, gouvernance et management, éthique et démarche RSE, gestion des compétences 2) leurs traductions concrètes sur le terrain. Ce second aspect est évalué via des indicateurs tels que le taux d’absentéisme, le niveau d’engagement des salariés, le taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles, le turn-over. L’indice du capital humain en entreprise prend en compte l’investissement des organisations en faveur de l’humain ainsi que leurs résultats.
Nous avons ensuite corrélé le score obtenu par les entreprises [2] – près de 300 sociétés en l’occurrence – et leur performance globale. Celle-ci a été évaluée selon 3 dimensions : la performance économique et financière (chiffre d’affaires, marges, endettement) ; la volatilité boursière (les entreprises investiguées étaient toutes cotées, ce qui facilite l’accès aux données en raison des obligations de reporting qui leur sont faites) ; la recommandation des entreprises par leurs salariés, via Glassdoor (en excluant les retours extrêmes).
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Nous avons observé un écart de 10 points entre les entreprises les mieux notées en termes de capital humain et celles les moins bien notées – sur la performance financière.
Du côté de la performance boursière, l’écart n’est pas très significatif, sur 10 ans, entre les organisations disposant d’une maturité élevée en matière de performance sociale et les autres. En revanche, la volatilité des cours est inférieure de 13 % pour les entreprises les mieux notées par rapport à celles qui le sont moins bien.
Quant au lien entre performance sociale et recommandation des salariés. Il est net : les scores Glassdoor des organisations prenant faiblement en compte leur capital humain sont moindres que ceux des entreprises disposant d’un niveau de maturité élevé.
Comptez-vous mener une nouvelle étude du même type, en l’appliquant à un plus grand nombre d’entreprises peut-être ?
Non, mais nous avons lancé une phase d’industrialisation de cet indice, voire de duplication ! Les mesures telles que nous les avions conçues ont été solidifiées, elles visent les entreprises de plus de 250-300 salariés (ETI et grands groupes). En parallèle, un « indice » proche de l’autodiagnostic s’applique aux PME, avec un nombre plus réduit de questions et de données à recueillir. Nous venons de recevoir les données d’une enquête réalisée auprès de 300 dirigeants de PME recourant à notre autodiagnostic. Il s’agit par exemple de comparer les accords signés dans les entreprises.
Par ailleurs, des partenaires d’envergure tels que CroissancePlus – le réseau d’entrepreneurs de croissance – ont souhaité déployer l’indice du capital humain en entreprise en leur sein ou chez leurs membres.
Au-delà des liens entre performance sociale et performance globale, l’adoption de cet indice offre-t-il d’autres enseignements aux entreprises ?
Tout-à-fait. Certaines organisations mettent déjà en œuvre de bonnes pratiques, parfois sans en avoir conscience ! Les détails de l’évaluation réalisée vont alors leur permettre de valoriser leurs lignes de force. Elles en parleront davantage à leurs collaborateurs, or cela constitue un motif de fierté ainsi qu’un moteur potentiel d’engagement. Cette valorisation peut également viser l’externe : mentions dans le cadre d’appels d’offres, reportings transmis aux investisseurs…
En toute hypothèse, connaître son niveau de maturité en matière de performance sociale permet de découvrir ses axes de progression et de réfléchir aux actions à mettre en place. Dans cette perspective. Malakoff Humanis va proposer une offre d’accompagnement aux organisations, sur les champs d’expertise qui sont les siens.
Le Comptoir de la nouvelle entreprise est très actif, avec la publication fin avril 2021 d’une étude portant sur la santé des dirigeants de TPE-PME. Comporte-t-elle des indications relatives à la performance sociale ?
Oui, et je retiens plusieurs informations clés. Tout d’abord, la hausse spectaculaire du pourcentage de dirigeants convaincus que la santé de leurs collaborateurs et la performance de leur entreprise sont étroitement liées : +16 points en 5 ans, à 78 %. Dans le même ordre d’idées, les répondants font de la santé et de la qualité de vie au travail le 1er enjeu de performance sociale (49%), avant le recrutement ou la fidélisation des talents (43 %).
Selon l’enquête, l’accompagnement psychologique des salariés arrive en dernière position des actions envisagées par les dirigeants pour prendre soin de leurs collaborateurs : n’est-ce pas paradoxal ?
Je pense qu’il ne faut pas confondre risques psychosociaux et état psychologique général. Les dirigeants continuent à investir le champ des risques liés à l’activité professionnelle ayant un impact sur la santé psychique. En revanche, ils ne se sentent pas habilités à intervenir en cas d’exposition à des risques personnels ou environnementaux – or ces derniers sont sans doute les plus prégnants actuellement en raison de la crise sanitaire. Bien que la frontière entre sphère professionnelle et personnelle s’estompe, cela montre je crois que les dirigeants établissent encore une différence.
Il faut par ailleurs savoir que les petites entreprises n’ont pas les moyens de mettre en place des lignes téléphoniques d’écoute, par exemple. Cela fait partie des services que nous leur proposons – comme d’autres acteurs santé prévoyance – et c’est effectivement très utile !
Pour conclure, quelles seront les priorités à définir dans les mois à venir pour prendre soin et valoriser les collaborateurs ?
Le 1er sujet, c’est la sécurité – de l’emploi, des conditions de travail et en matière de santé. Il faut créer les conditions d’un redémarrage le plus rapide possible et pour cela, la confiance et la sécurité sont décisives.
Le 2e élément tient dans la conciliation entre la vie pro et la vie perso. Il s’agit là de l’un des effets « bénéfiques » de la crise – la montée en puissance du télétravail ayant permis de mieux articuler ces deux dimensions [3].
Un 3e sujet sort renforcé de cette période de crise, c’est tout ce qui touche à l’équité de traitement et au partage de la valeur.
Les entreprises vont par ailleurs devoir engager des travaux de fond sur la question de l’organisation du travail, quelle que soit leur taille ou leur secteur. D’autres dimensions devront également retenir leur attention : les conditions de travail, l’employabilité, les préoccupations environnementales… Bien que ces différents chantiers puissent avoir un caractère systémique, il ne faut pas hésiter à engager une ou deux actions ciblées dans un premier temps, en suivant un cap. Et en fixant des priorités en fonction de ce que sont les entreprises, de leurs enjeux, de leur population, de leurs ressources – via un dialogue avec leurs parties prenantes.
[1] Via Le Comptoir de la nouvelle entreprise, en partenariat avec l’agence d’analyse et de conseils extra-financiers EthiFinance (groupe Qivalio).
Le Comptoir de la nouvelle entreprise élabore des études et expérimentations autour des nouvelles problématiques des organisations. Il organise également des rencontres, des partages de pratiques émergentes avec toutes les parties prenantes – entreprises, partenaires sociaux, experts – et il diffuse des informations sur ces sujets par le biais de son média.
[2] L’indice du capital humain en entreprise se traduit par une note attribuée aux entreprises.
[3] Hors périodes de cumul « école à la maison – travail à distance », pour les parents salariés.
BIO EXPRESS
Directrice des Services de Malakoff Humanis, Anne-Sophie Godon-Rensonnet a rejoint le groupe de protection sociale Malakoff Médéric – devenu Malakoff Humanis – en 2008. Dans ce cadre, elle a piloté l’Innovation durant plus de 6 ans.
Diplômée de l’EM Lyon, elle a par ailleurs exercé des responsabilités chez Andersen, puis à l’institut Pasteur où elle a créé et dirigé la start-up Pasteur Mediavita. Convaincue que l’entreprise est un territoire privilégié pour la prévention santé, elle anime depuis 10 ans une ambitieuse politique de partenariats et d’études dans ce domaine. En 2017, elle créé le Comptoir de la nouvelle entreprise afin d’anticiper et de décrypter les grandes tendances de l’humain dans l’entreprise.
Anne-Sophie Godon-Rensonnet est professeur associée au CNAM.