Pourquoi la RSE transformative constitue un levier clé de performance globale
En plaçant la responsabilité sociétale au cœur de leur stratégie, les entreprises peuvent bénéficier d’un véritable avantage concurrentiel tout en répondant aux attentes de leurs différentes parties prenantes. Pour concrétiser leurs ambitions d’alignement entre RSE, management et business, elles ont intérêt à faire preuve de méthode. Une RSE transformative irriguera ainsi chacune de leurs fonctions. Les explications pour Cahra management de transition de Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE.
Vous êtes à l’origine du concept et de la démarche de RSE transformative, que vous mobilisez dans le conseil de direction que vous réalisez : de quoi s’agit-il ?
L’objectif est d’en finir avec une RSE qui relève trop souvent du paternalisme philanthropique, associant business as usual et chèque à une association en fin d’année. RSE et management doivent être complètement intégrés dans une approche vertueuse, qui bénéficie concrètement à l’entreprise et à ses parties prenantes. Pour résumer, il s’agit de mettre davantage de RSE dans le business et davantage de business dans la RSE. La démarche transformative ambitionne d’intégrer la RSE au modèle d’affaire, pour innover et créer de la valeur. Citons l’exemple de la glacière écologique mise au point par le leader des surgelés en France [1], qui lui a ouvert des marchés dans des pays où la chaîne du froid est plus difficile à assurer. La RSE transformative se fait donc source d’innovation, et même de compétitivité dans des secteurs fortement concurrentiels.
Comment concrétiser et structurer cette démarche ?
Deux méthodes existent pour construire une démarche de RSE transformative. La première, qui consiste à en faire un projet dédié, se confronte au risque d’un déploiement raté : comment s’appuyer sur les managers intermédiaires et leurs équipes si la démarche est présentée comme un projet à ajouter à un planning déjà chargé ?
La seconde, à privilégier selon moi, vise à identifier les projets à venir et à leur insuffler une dimension responsable ; la conduite de changement est plus efficace avec des budgets dispersés mais coordonnés.
La RSE s’inscrit dans les sept grands domaines de la norme ISO 26000, chacun regroupant des dizaines de sujets. La priorité consiste donc à sélectionner ceux qui sont les mieux adaptés aux enjeux spécifiques de l’entreprise, en commençant par une analyse de matérialité : on recense les enjeux matériels ayant un impact fort sur l’entreprise et sur lesquels l’entreprise peut avoir un impact fort – par exemple, la maîtrise de l’eau pour un fabricant de cuirs. On met ainsi le doigt sur les priorités en termes d’actions RSE, avec une analyse qui peut révéler des décalages entre la perception des dirigeants et la réalité des besoins. Un autre aspect important de la RSE transformative consiste à embarquer les collaborateurs, par exemple sur la définition des valeurs de l’entreprise ou le mécénat de compétences. L’essor de ce dernier depuis quelques années confirme l’évolution des aspirations participatives des salariés vis-à-vis des enjeux RSE. Il est important de mettre l’ensemble des acteurs en mouvement.
D’après votre expérience, quels sont les principaux facteurs de succès ?
Plusieurs signes démontrent que la démarche s’inscrit dans une véritable ambition transformative, comme le rattachement de plus en plus fréquent de la RSE à la direction générale, ou le fait que le directeur RSE soit membre du Comex. La mise en place d’un comité RSE, facultatif, par le conseil d’administration va dans le même sens. Idem pour le chiffrage d’un budget dédié et le montant de ce chiffrage, ou encore l’association d’objectifs RSE aux critères de rémunération variable des dirigeants et managers. Par ailleurs la stratégie est d’autant plus efficace lorsque l’entreprise en fait un sujet de dialogue social, et qu’elle irrigue l’ensemble des directions fonctionnelles – par exemple, avec des achats responsables, des politiques de diversité, du reporting intégré, notamment.
La démarche est réussie quand la RSE a pleinement intégré la culture de l’entreprise, son fonctionnement managérial, et quand les salariés s’y réfèrent.
Pour élaborer une stratégie de RSE transformative et l’ancrer dans l’organisation, l’accompagnement externe est-il un passage obligé ?
Une recherche réelle d’impact et de progrès nécessite de faire émerger les éléments de résistance ou conflictuels. De plus, la mesure d’impact n’est pas toujours évidente, d’autant que ces projets s’inscrivent dans une temporalité moyen-long terme. Le fait de s’appuyer sur un accompagnement permet de mener plus facilement cette démarche de transformation, notamment pour aligner les objectifs financiers, écologiques et sociaux. En recourant à une approche ayant fait ses preuves et documentée, les consultants peuvent déployer des quick wins dans les premiers mois pour éviter d’émousser les meilleures volontés, et travailler la question de la performance avec le comité de direction dans toutes ses dimensions de développement durable – people, planet, profit.
L’accompagnement peut aussi s’imposer dans les démarches d’évaluation de ce qui a été engagé. Elles vont apporter de l’objectivation, grâce à l’intervention d’auditeurs externes et des référentiels éprouvés.
À vos yeux, quel peut être l’impact de la crise durable qui s’annonce sur les démarches de RSE transformative ?
Malgré l’onde de choc déjà ressentie, les premiers effets positifs ont pu être observés ces derniers mois, avec notamment de nombreuses créations de comités RSE. La situation incite des entreprises à se poser la question de leur utilité sociale à long terme et de leur contribution à court terme, comme celles du secteur du luxe. En parallèle d’autres organisations luttent pour leur survie. Parfois les deux problématiques sont à l’œuvre dans les mêmes entreprises. Il faut bien comprendre que la RSE n’est antinomique ni de recherche de bénéfices, ni de prise de décisions difficiles. Danone, le premier acteur du CAC 40 à être devenu entreprise à mission, a récemment annoncé un plan social de 2 000 suppressions de postes, suite à la perte importante de chiffre d’affaires de sa division Eau. Une perte qui peut mettre en danger la pérennité de l’entreprise et sa raison d’être, « apporter la santé par l’alimentation », et qui l’oblige à réagir ; il n’y a pour moi pas de contradiction en termes d’engagements sociétaux, à condition que ces mesures s’inscrivent dans un cadre responsable visant à limiter au maximum l’impact négatif des décisions.
La crise révèle plus que jamais les attentes de l’ensemble des parties prenantes – salariés, mais aussi consommateurs, investisseurs, pouvoirs publics… –, qui souhaitent mettre la RSE sur le devant de la scène. S’opposer à cette dynamique, pour le top management, reviendrait à jouer contre les intérêts de l’entreprise. Par ailleurs, nous devons collectivement gagner en maturité à l’égard des démarches de RSE transformative et/ou de la qualité de société à mission, en évitant de les confondre avec le monde des bisounours ! Ces deux ambitions ne relèvent en rien de l’utopie mais nécessitent au contraire, de reconnaître que la transformation d’une entreprise doit se conduire dans le cadre de la transformation de la Société.
[1] Elle est composée de jute (connu pour ses vertus isolantes) et de coton bio équitable. Dès 2015, l’enseigne Picard a lancé un « lab écologique » pour concilier éco-responsabilité et profitabilité.
BIO EXPRESS
Diplômé d’HEC, Martin Richer a effectué la plus grande partie de son parcours dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis (directeur du marketing d’Oracle Europe, Vice-Président Europe de BroadVision, DG de la filiale la plus importante du groupe Alpha). En 2012, il fonde le cabinet de conseil de direction Management & RSE afin d’aider les organisations à déployer une démarche et des pratiques de RSE « transformative », dans une optique de différenciation stratégique.
Martin Richer est par ailleurs membre du Comité de labellisation de l’agence Lucie, responsable du pôle Entreprise, Travail & Emploi du think tank Terra Nova, et il appartient au corps enseignant de l’IAE Paris (université Paris 1 Sorbonne) – notamment.