Quiet Quitting : comment passer du constat à l’action ?
Au début des années 2020, les réseaux sociaux commencent à relayer une nouvelle tendance parmi les salariés : le fait de répondre uniquement aux attentes liées à l’emploi occupé, en y consacrant les ressources, le temps et les efforts requis – ni plus, ni moins. Comment comprendre le Quiet Quitting ? Ce phénomène est-il vraiment nouveau ? Quel est son impact et de quels leviers les organisations disposent-elles pour tenter de le limiter ? Exploration.
Avec le Quiet Quitting, de quoi parle-t-on ?
Pas question de rogner sur la durée de la pause déjeuner, d’effectuer une tâche qui n’entrerait pas dans son périmètre, de répondre à un mail professionnel pendant le week-end, de prendre des responsabilités, de faire preuve d’initiative… Vous l’avez reconnu ? Tel est le phénomène de « démission silencieuse », ou comment respecter le contrat de travail à la lettre[1] !
Les Quiet Quitters s’en tiennent donc à ce qui est défini dans la fiche de poste, sans transiger. Ce qui ne les empêche pas d’être consciencieux dans le strict exercice de leur travail. En septembre 2022, dans la Harvard Business Review, deux chercheurs en management partagent l’observation suivante : ces salariés « continuent de remplir leurs responsabilités primaires, mais sont moins prompts à s’engager dans des activités considérées comme des comportements « citoyens » : plus question de rester tard, de commencer tôt, de participer à des réunions non obligatoires ».
Ce phénomène semble étroitement lié à la pandémie de Covid-19
S’il est récent, le Quiet Quitting a rapidement pris une grande ampleur, révélant une probable tendance au désengagement à l’œuvre depuis longtemps. D’après l’édition 2023 de l’étude annuelle State of the Global Workplace de l’institut Gallup, près de trois Européens sur quatre seraient concernés[2]. En France, 36 % des 1 200 cadres interrogés par Randstad Search indiquent ne pas vouloir s’investir plus que nécessaire dans les missions qui leur sont confiées. 7 % envisagent même de moins s’impliquer dans leur travail cette année !
Impossible d’évoquer la démission silencieuse sans s’intéresser à son contexte d’émergence. La crise sanitaire, entre confinements et télétravail forcé, a entraîné chez nombre d’actifs une prise de conscience de leur rapport au travail. Il en est ressorti, multiples études et sondages à l’appui, un changement dans les priorités et les attentes : en particulier, la recherche d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, une quête renouvelée de sens au travail, et une vigilance plus forte envers la politique RSE de l’entreprise. À cela s’ajoute, ces derniers mois, un changement du rapport de force entre les candidats et les employeurs, ouvrant les perspectives professionnelles des collaborateurs et limitant leur investissement dans leur poste actuel.
Le contexte RH et organisationnel n’inviterait-il pas au Quiet Quitting ?
Si la crise sanitaire a joué un rôle déterminant dans l’essor de ce phénomène, il serait trop facile, pour les entreprises d’échapper à toute remise en question et d’éluder leur part de responsabilité. Les salariés font en effet preuve de « cohérence transactionnelle » : pour la majorité d’entre eux, l’investissement au travail est à la hauteur de la reconnaissance de l’employeur et de la qualité de l’expérience collaborateur qui leur proposée. Or la recrudescence, ces dernières années, des cas de burn-out[3] et de souffrance au travail, avec jusqu’à un salarié sur deux en situation de détresse psychologique, exprime un niveau élevé de mal-être au travail.
En cause, un fonctionnement organisationnel qui laisse trop de place à un management défaillant voire même, parfois, toxique : surcharge de travail, périmètre flou des missions, manque de clarté dans les objectifs, relationnel difficile… Mais aussi l’absence d’une frontière nette entre le travail et la sphère privée, une rémunération qui n’est pas à la hauteur de l’augmentation du coût de la vie, le déficit d’implication dans la définition de la stratégie d’entreprise, etc. Chaque organisation a donc intérêt à établir un diagnostic poussé de ses forces et de ses faiblesses : la première étape d’un potentiel réinvestissement des collaborateurs ?
Quels leviers activer pour réengager l’interne ?
Les ressorts de la motivation sont multiples et, pour l’employeur, mieux vaut éviter de miser uniquement sur les gratifications. On sait notamment que la motivation extrinsèque – comme celle associée à un meilleur niveau de rémunération – est un levier utile mais insuffisant pour maintenir, dans la durée, un haut niveau d’engagement[4]. Il est essentiel de miser sur des moteurs intrinsèques, comme l’adéquation entre les missions et les valeurs de l’individu, le sens qu’il va trouver dans son travail, la perspective de prendre du plaisir en se rendant au bureau ou en télétravaillant, etc.
Plus globalement, l’enjeu consiste, pour l’entreprise, à revisiter ses process afin de répondre aux attentes exprimées par ses forces vives. Ce qui implique, en premier lieu, de remettre du liant dans le dialogue avec les salariés : sont-ils écoutés, et leurs besoins pris en compte ? Comment peuvent-ils être mieux associés aux orientations et à la stratégie, participer plus activement aux décisions d’équipe ? À chaque organisation d’identifier les « trous dans la raquette » pour les corriger.
D’autres pistes sont à envisager : notamment, mettre en place et faire respecter des règles visant à garantir l’équilibre des temps de vie ; transformer la culture managériale – et/ou faire évoluer la culture d’entreprise – pour les rendre plus bienveillantes et « accompagnantes » ; recourir à des solutions digitales permettant de décharger les salariés des tâches chronophages et à faible valeur ajoutée. Au-delà des NAO et autres attributions de primes, il semble important de revisiter en profondeur les modalités de partage de la valeur. Par ailleurs, à une période où les enjeux éthiques et environnementaux prennent de plus en plus d’importance dans la société, les ambitions RSE de l’entreprise peuvent aussi faire la différence.
Quels sont les retours d’expérience des managers de transition CAHRA ?
Au fil de leurs missions, les managers CAHRA pourraient être confrontés au Quiet quitting… Si c’est le cas, le périmètre de leurs missions impliquerait d’en tenir compte dans leurs démarches de transformation.
Aux yeux de Christophe Borel, le Quiet Quitting consiste en une « attrition, une usure anormalement élevée des ressources de l’entreprise. Comme tout phénomène météorologique, elle ne se corrige qu’en adressant le déséquilibre qui en est la cause. Les sources d’attrition sont probablement spécifiques à chaque métier, mais elles résultent de l’absence d’un management attentif aux signaux faibles. Il n’est pas rare d’entendre ce trait ironique, en réponse à une proposition de débriefing d’équipe : « Tu nous proposes un exercice de psy ? ».
Pour sa part, Fabienne Angaud interroge la notion même de Quiet Quitting, en rappelant qu’un salarié qui « fait ses heures » et garde du temps pour sa vie personnelle n’est pas forcément un démissionnaire silencieux. « Pourquoi corréler le souhait d’avoir une vie extra-professionnelle et le manque de motivation ? Il est important d’envisager l’ensemble des éléments dans le rapport du collaborateur à son métier et à son travail : comment s’y sent-il ? Quelles sont ses priorités du moment, ses attentes envers l’entreprise, sa singularité ? Quelle est l’importance du travail dans son statut social, et quelle reconnaissance souhaite-t-il en retirer ? » La manager de transition insiste sur l’importance de « ne pas se contenter de raccourcis faciles, sans chercher à comprendre s’il y a des signes effectifs de désengagement, appelant des diagnostics organisationnels objectifs. »
Le Quiet Quitting est-il une tendance de fond, ancrée dans des problématiques récurrentes et dans les nouvelles attentes des salariés ? Ou plutôt un terme à la mode, mettant en lumière le simple fait que les collaborateurs, d’aujourd’hui comme d’hier, positionnent le travail à sa juste place, sans s’y investir plus que de raison ? À chacun d’apporter sa réponse…
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[1] Pour en savoir plus sur un phénomène approchant, abondamment relayé sur les réseaux sociaux et dans les médias B2B en 2022-2023, à savoir la « Grande Démission » : c’est ici.
[2] Des chercheurs et experts en management émettent des doutes quant à la fiabilité des résultats de l’enquête, déclarative, Gallup. Cette dernière livre régulièrement des résultats catastrophiques en matière d’engagement des salariés français notamment, la situation dans les entreprises se révélant généralement bien meilleure…
[3] Pour en savoir plus sur la gestion du stress : c’est ici.
[4] La cohésion d’équipe est un puissant levier d’engagement, comme le montre notre article de décryptage – à consulter ici.