QVT, santé, performance : un trio gagnant selon la pionnière Marie-Claude Pelletier
En France, le sujet de la QVT est largement investigué. Les pratiques managériales et organisationnelles évoluent-elles pour autant ? Entre la prise de conscience, individuelle et collective, et la traduction opérationnelle, le délai peut être long. Alors, comment accélérer le déploiement d’une véritable démarche QVT dans les organisations ? Rencontre avec Marie-Claude Pelletier, dirigeante canadienne en pointe en matière de sensibilisation et d’accompagnement des entreprises sur ces questions.
Vous êtes l’une des premières à avoir œuvré pour la prise en compte de la santé et du bien-être au travail dans les entreprises. Comment vous êtes-vous intéressée à la QVT-SQVT [1] ?
En réalité, j’ai saisi l’opportunité de donner un sens à mon travail en contribuant à améliorer la qualité de vie des personnes, dans le champ professionnel et de façon générale.
L’occasion m’a été donnée par la chaîne de supermarchés Provigo [2] au début des années 1990 : je devais développer toute une stratégie pour aider les consommateurs à faire des choix alimentaires éclairés sur les lieux de vente. Promouvoir la santé là où la population se rend de façon régulière et massive permet de faire passer des messages qui peuvent ainsi se répercuter en réels choix santé au moment où l’on achète ses denrées alimentaires.
Quelques temps plus tard, deux médecins sont venus me voir. Au Québec, 30 à 40 % de la population n’a pas accès à un médecin de famille et la médecine du travail est quasi inexistante. Nous avons eu l’idée d’une entreprise qui proposerait des services aux employeurs pour intégrer le respect de la santé et de la QVT ; créer un environnement promouvant la santé globale (physique, psychologique et sociale), via des outils, connaissances et programmes accessibles aux managers et aux salariés afin de favoriser leur santé et mieux-être.
La santé et la QVT ne se réduisent cependant pas à l’aspect médical ou de santé physique. Elles concernent autant, sinon davantage, l’organisation du travail et les pratiques de management, etc.
Comment avez-vous procédé pour « convertir » les organisations québécoises à cet enjeu majeur ?
Nous avons documenté ce qui se faisait en termes de bonnes pratiques, constitué un comité scientifique pour interroger des experts et développé des outils appropriés au contexte de l’entreprise. Plusieurs axes ont été définis :
- Encourager les employeurs à revoir leurs pratiques de management, à former leurs managers, à organiser des conférences et ateliers de travail sur la santé et le bien-être au travail ;
- Proposer sur une base volontaire des questionnaires aux salariés et managers afin d’évaluer de manière confidentielle leur SQVT et leur donner des pistes d’action ou de ressources pour les aider, tout en permettant d’identifier des pistes d’actions destinées à l’employeur afin qu’il puisse aussi agir sur le plan organisationnel ;
- Mettre en contact les salariés et managers ayant des besoins spécifiques avec des référents externes, afin qu’ils soient accompagnés et puissent améliorer leur bien-être.
Tout cela dans un contexte de responsabilité partagée entre l’employeur, le manager et le salarié, chacun ayant un rôle à jouer. Il y avait des activités dans les équipes de travail, d’autres, individuelles, d’autres encore, organisationnelles.
C’était précurseur ! On a fait mesurer les effets de cette stratégie en milieu professionnel par une équipe de chercheurs indépendants afin de mesurer le retour sur investissement. Peu à peu, d’autres employeurs ont été convaincus.
En 2008, la norme Entreprise en santé a été adoptée [3]. Le groupe Entreprises en santé, que j’ai dirigé durant 5 ans, avait mandaté le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) pour en coordonner le développement. Cela répondait au besoin des employeurs d’avoir un mode d’emploi pour intégrer des pratiques organisationnelles favorisant la prévention, la santé et le bien-être des collaborateurs, et ainsi éviter de souffrir de stress chronique, voire de partir en burn-out ou en invalidité. Ils constataient également l’impact de la « non santé » via notamment le phénomène de présentéisme – des collaborateurs toujours à leur poste mais moins productifs car souffrant de mal-être au travail.
Depuis, d’autres normes ont vu le jour mais lorsqu’elle a été lancée, la norme Entreprise en santé a constitué une innovation mondiale.
Que pensez-vous des actions menées en France en matière de QVT ?
L’Anact est très active. Aussi, via un partenariat, le groupe québécois Entreprises en santé a transféré son expertise et ses outils à l’Afnor (Association française de normalisation), qui les a adaptés à la réalité hexagonale et propose des formations aux employeurs et aux personnes souhaitant devenir chef de projet ou consultant évaluateur SQVT par exemple.
Il faut souligner qu’en France, l’approche se fait sous l’angle réglementaire et obligatoire au niveau de l’entreprise ; au Québec, nous n’avons pas les mêmes contraintes. On l’aborde de manière volontaire avec une perspective constructive et positive. Cela peut expliquer un certain décalage. Néanmoins, quelle que soit leur motivation (responsabilité sociale, développement durable, amélioration de la productivité, diminution de l’absentéisme, attraction et rétention des talents), les employeurs sont de plus en plus nombreux à réaliser que la santé et la QVT font partie des stratégies importantes de l’organisation.
Quand un dirigeant engage une stratégie, il souhaite en mesurer l’impact : est-ce possible en matière de santé et de QVT ?
Bien sûr mais encore faut-il que les actions soient bien menées ! Dans le domaine de la santé et de la QVT, on peut facilement déployer des activités feu de paille qui ne donneront pas de résultats ou bien très momentanés. La démarche SQVT doit absolument être structurée et structurante dans l’organisation.
En Amérique du Nord, il est facile de calculer le ROI de ce type de stratégies : aux Etats-Unis et dans une moindre mesure au Québec, les employeurs paient les frais de santé de leurs salariés ; l’impact est net ! Chez nous, les retours sur investissement varient de 1,80 à 4 $ CA par dollar investi au bout de 3 ans.
Quel que soit le pays, il est crucial de parler le langage du dirigeant. Au Québec, nous présentons un business case qui montre le coût de l’inaction, nous proposons une stratégie et une évaluation de son impact – financier ou autre. En France, selon l’objectif visé, on évaluera les résultats via des sondages de satisfaction ou de mobilisation, le nombre de participants aux activités organisées, le taux d’absentéisme, la facilitation du recrutement, etc.
Un dirigeant décide d’initier une démarche QVT : comment doit-il procéder ?
Pour espérer obtenir un impact significatif et durable, l’approche à avoir doit être systémique (tenir compte de l’ensemble des parties prenantes) et systématique, en gérant une étape à la fois. Avec la plateforme internationale Global-Watch.com, nous nous sommes dotés d’un cadre d’intervention qui permet de visionner la stratégie globale abordant toutes les facettes et étapes de la stratégie. Ce cadre d’intervention puise sa source dans les normes, guidelines, bonnes pratiques identifiées au fil des années dans le domaine.
Côté organisationnel, cela commence par un diagnostic –>
- Quelle est la situation ?
- Quels sont les enjeux stratégiques de l’entreprise ?
- Comment une stratégie de SQVT peut y répondre ?
Il s’agit ensuite d’engager l’ensemble des parties prenantes – la direction, les RH, les syndicats, tous les acteurs qui doivent participer au déploiement de cette stratégie. Puis on constitue un comité de travail composé de personnes reflétant « l’ADN » de l’entreprise. Pour disposer d’un regard éclairé sur les priorités où mettre de l’énergie, on recommande de procéder à deux collectes de données :
- Une collecte organisationnelle -> quels sont les indicateurs de départ (coût des absences, mobilisation, taux d’invalidité…) ?
- Un questionnaire destiné aux collaborateurs [4], à remplir de façon anonyme et volontaire -> ces derniers vont pouvoir dire comment ils se sentent, comment ils voient leur travail, les pistes d’amélioration et ce qui pose problème selon eux.
Recourir à un prestataire externe à ce stade s’avère pertinent afin d’assurer une neutralité dans le processus tout en créant un climat de confiance. Attention néanmoins à bien le choisir car les questionnaires sont de qualité variable [5] !
Grâce aux informations récoltées, il est possible de prioriser avec le comité de travail les actions et politiques à intégrer dans l’organisation, de les mesurer, de voir le taux de satisfaction et de participation, de déployer les bons dispositifs puis d’évaluer pour améliorer le processus – et de recommencer chaque année dans une démarche d’amélioration continue.
Pour conclure, sur quels leviers peut-on jouer pour encourager les entreprises à intégrer encore plus massivement la QVT-SQVT dans leur stratégie globale ?
Je pense qu’il faut valoriser les employeurs qui mettent en œuvre une stratégie intelligente et structurée, via des mesures incitatives plutôt que coercitives. Il est intéressant de regrouper les employeurs et leur permettre d’échanger car lorsqu’on expérimente quelque chose, ne pas être seul s’avère stimulant.
Après, dans chaque entreprise, la fonction RH doit se montrer stratégique : il s’agit de positionner la QVT-SQVT parmi les enjeux stratégiques de l’organisation, de mobiliser les parties prenantes, voir comment structurer la démarche, etc. Une stratégie de SQVT ne peut aboutir si le management se fait à court-terme et s’il n’existe pas une volonté forte d’améliorer l’aspect organisationnel. L’engagement des collaborateurs est également déterminant, tout comme la formation à ces questions dès le cursus universitaire et dans les grandes écoles. On parle là d’un véritable changement culturel.
[1] À l’instar de Marie-Claude Pelletier, l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, créée en 1973) privilégie la notion de SQVT – santé et qualité de vie au travail.
[2] Provigo est l’équivalent québécois de Carrefour. Marie-Claude Pelletier a effectué la première partie de sa carrière dans le domaine bancaire, puis dans la grande distribution alimentaire.
[3] Un projet de révision de la norme Entreprise en santé a été lancé, il vise entre autres à en faire une norme à l’échelle canadienne.
[4] Les deux erreurs le plus souvent commises par les entreprises sont d’oublier d’engager la direction avant de démarrer la stratégie de SQVT et d’omettre de sonder les salariés.
[5] Le réseau collaboratif présidé par Marie-Claude Pelletier, Global-Watch.com, propose une série de questions permettant de savoir quel genre d’exigences les entreprises doivent avoir à cet égard.
À propos de Marie-Claude Pelletier
Présidente et fondatrice du groupe LEVIA et de la plateforme collaborative Global-Watch.com, Marie-Claude Pelletier s’est spécialisée depuis une quinzaine d’années dans le domaine de la prévention, de la santé et du mieux-être au travail, après un parcours de plus de 25 ans en développement et direction d’entreprises. Intervenant au Canada et en France, elle est administratrice de société certifiée (ASC) et diplômée du MBA exécutif de l’université McGill – HEC Canada. Coauteure avec Laurence Breton-Kueny et Hélène Coulombeix d’Hygiène de vie et bien-être au travail, 100 questions pour comprendre et agir (AFNOR Editions, 2016), elle est chargée de cours de deuxième cycle universitaire en santé organisationnelle à l’Université de Sherbrooke, Canada.