Résilience organisationnelle : une condition sine qua non de développement pérenne ?
La phase aigüe de la crise sanitaire a eu un impact variable sur les collaborateurs selon des critères familiaux, de logement, ou la proximité de personnes malades. L’accompagnement, la communication mise en œuvre ou non par les managers et dirigeants ont également modifié les perceptions. Avec des indicateurs SARS-CoV-2 repartis à la hausse [1] et les nouvelles incertitudes qui en découlent, la question de la résilience des organisations se pose : abus de langage ou impératif de survie ? Est-elle fondamentale en vue d’accélérer, quand le contexte de l’entreprise s’y prête ? Cette résilience se prépare-t-elle ? Décryptage.
La résilience organisationnelle, une capacité qui fait sens dans le monde de l’entreprise ?
Popularisé par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le concept de résilience consiste, à l’échelle d’un individu et dans son acception psychologique, à intégrer et surmonter un traumatisme en se développant positivement. Dans le domaine des sciences sociales, il inclut la dimension de vie ou de développement « socialement acceptable », alors qu’une issue négative aurait pu se profiler.
De fait, la résilience concerne plusieurs disciplines. Pour la médecine traditionnelle chinoise, la résilience est en effet « la capacité de régénération des systèmes vivants après une blessure ». En physique, elle désigne l’aptitude des matériaux à résister aux chocs ou à retrouver leur forme initiale après avoir été comprimés ou déformés. Quid de son application au champ organisationnel ?
Selon Tarik Chakor, maître de conférences en sciences de gestion, « la résilience organisationnelle est la capacité d’une organisation à surmonter un danger manifeste, à résister aux chocs et à survivre aux conséquences qui en découlent [2] ». On distingue d’ailleurs trois « temps » de cette résilience : 1) absorber le choc lié à la crise 2) se renouveler en profitant de nouvelles opportunités 3) apprendre de la crise.
La résilience organisationnelle va-t-elle donc au-delà de l’adaptation permanente des entreprises aux évolutions de l’environnement technologique, concurrentiel ou réglementaire ?
Certes, « le monde est mouvement et l’entreprise, une organisation soumise à ses fluctuations » – comme le rappelle Daniel Bréchignac, expert en management de transition. Mais la résilience organisationnelle s’appuie sur l’absorption d’une violente secousse tout en requérant, impérativement, de quitter la gestion des situations en « mode pompier ». Et pour qu’il y ait résilience, il doit y avoir transformation d’épreuves en opportunités. Cela implique, notamment, de mobiliser toutes les énergies disponibles et de s’appuyer sur la force du collectif pour (se) reconfigurer. À l’inverse, selon Boris Cyrulnik, « si [les organisations] répètent les mêmes processus qu’avant la crise, elles risquent de disparaître [3] ».
La 1re étape de la résilience organisationnelle consiste à concilier écoute et prise en compte de la dynamique spécifique des équipes
« Empêchées » voire paralysées durant plusieurs mois, les entreprises peuvent avoir la tentation de faire table rase de ce passé. Prendre le risque de faire abstraction des ressentis des collaborateurs serait pourtant délétère. En effet, qu’ils aient télétravaillé à temps complet ou aient continué à travailler in situ, de nombreux salariés ont été en proie à des questionnements sur le sens de leur activité, ou sur leurs « priorités de vie ».
Dès lors, souligne Daniel Bréchignac, « l’aspiration à un travail plus flexible doit être intégrée dans l’organisation du travail et des équipes », par exemple.
Il est surtout important de pouvoir accueillir la parole des salariés, ce qui requiert au préalable d’avoir instauré un climat de confiance propice à la libre expression. Dans cette optique, le rôle des managers s’avère décisif. Et leurs capacités d’écoute sont pleinement sollicitées. L’identification de certaines difficultés, exprimées par les collaborateurs ou repérées via des « signaux faibles », permet de trouver des leviers adaptés aux différents cas de figure afin d’accompagner les salariés sur le chemin du retour de l’efficacité professionnelle et du bien-être au travail.
En parallèle, estime Daniel Bréchignac, il faut donner la possibilité aux équipes de trouver le bon tempo. « Les groupes humains ont une vie propre. Les situations de tension les mettent à l’épreuve, des risques de débordement ou de comportements nocifs se profilent. D’où l’importance de les guetter et de les rectifier. Mais il faut laisser s’exprimer les volontés, à partir du moment où le sommet et la base se sont au préalable alignés sur la raison d’être de leur association et le cadre dans lequel celle-ci s’insère. »
Pour refonder du lien social, il convient en effet de redéfinir dans chaque organisation la raison d’être du contrat de collaboration, au-delà du partage des objectifs de l’entreprise.
La seconde étape appelle une redéfinition du contrat moral entre collaborateurs et organisations
L’organisation de la collaboration dans l’entreprise reste un sujet épineux, dans la mesure où les contraintes économiques s’y invitent. Le chômage partiel pourrait d’ailleurs avoir causé « davantage de dégâts psychologiques que l’on ne le pense », notamment sur le sens au travail et le sens de l’activité économique dans notre vie à tous. « Alors même que le rapport au travail était déjà devenu complexe, l’épisode Assignation à résidence indemnisée par la puissance publique a sans doute brouillé encore un peu plus les cartes. »
Pourtant, la mobilisation des collaborateurs – sans qu’ils puissent se sentir lésés à un moment donné –implique une réintroduction de la notion de contrat moral entre ceux-ci et leur organisation. Plusieurs paramètres entrent en jeu : l’état d’esprit du dirigeant et ce qu’il a pu, ou su, irriguer chez les managers de proximité et les managers intermédiaires; la vision que le dirigeant a du pilotage de son entreprise. Or il est impossible de « forcer » cette vision. Tout comme on ne peut « forcer » l’évolution des modes de fonctionnement de l’entreprise. D’ailleurs, les initiatives de terrain des collaborateurs ne peuvent s’exprimer ou se libérer que si la vision de la finalité de l’entreprise est alignée entre la direction et la base. On le comprend, dans de nombreuses structures le chemin sera encore long. La vigueur de ce contrat moral est pourtant bien l’un des « piliers » de la résilience organisationnelle.
Quoi qu’il en soit et malgré l’envergure du projet, certaines actions sont faciles à mettre en œuvre –« dire aux collaborateurs qu’on les aime et le vivre au quotidien ; écouter leurs propositions, les recadrer si nécessaire afin de les optimiser ; faire confiance, en surveillant de près ». Tels sont les conseils de Daniel Bréchignac.
Si la résilience organisationnelle constitue un impératif pour les entreprises, ce n’est pas pour céder aux sirènes des modes managériales. L’objectif est bien de pouvoir « redémarrer » positivement, en accélérant si le contexte le permet ou l’exige, tout en conciliant les besoins des collaborateurs et ceux des organisations. Cela passe par la reconnaissance du rôle joué par chaque acteur, à son échelle, et par l’adoption d’un tempo adéquat. Avec, en perspective, le renforcement du lien social, lequel permet un plus haut niveau de responsabilité et d’engagement. Sachant que l’humain constitue le capital le plus performant et durable de l’entreprise.
[1] La hausse du nombre de cas identifiés a désormais une incidence sur le nombre de patients hospitalisés ou placés en réanimation, à l’échelle nationale.
[2] Source : Les Echos.
[3] Reconnaissons néanmoins, avec Daniel Bréchignac, que les crises sanitaires dues à la grippe espagnole ou à la grippe de Hong-Kong (1968-printemps 1970) n’ont pas fondamentalement modifié le mode de gestion des organisations.