Le transfert de la connaissance : un enjeu stratégique pour la continuité des entreprises
Un triple défi attend les entreprises : les crises économiques, les pénuries de compétences et le départ imminent de collaborateurs expérimentés. Ces enjeux, accentués par les crises Covid ou de 2008, placent les organisations en situation d’urgence où la formalisation des savoirs est souvent négligée. Pourtant, cette conjoncture accélère la transformation des métiers et des besoins en compétences. Elle impose désormais une gestion proactive du savoir-faire. La perte progressive des expertises détenues par des actifs proches de la retraite représente un risque majeur. Dans ce contexte, le transfert de connaissances devient un enjeu stratégique pour maintenir son avantage concurrentiel et sécuriser son avenir.
Le savoir-faire et la connaissance : la richesse des entreprises
La connaissance explicite
La connaissance explicite regroupe les savoirs collectifs formalisés dans des documents tels que procédures, modes opératoires ou manuels qualité. Elle s’avère essentielle pour assurer la production, la conformité et la réussite des audits QHSE. Elle garantit la transmission des savoirs à travers des supports fiables.
Cependant, dans certaines organisations, elle présente des limites : absence de mises à jour régulières, manque de validation et incohérences dans les plans de formation. Seule une gestion rigoureuse maintient la pertinence et l’efficacité de ces plans.
La connaissance tacite
La connaissance tacite désigne le savoir-faire expérientiel, incluant gestes techniques ou « savoir-faire » non formalisé par écrit. Ce savoir est souvent privatisé par les collaborateurs, rendant sa transmission difficile, notamment lors des départs à la retraite. Détecter et valoriser ces compétences uniques, parfois inaccessibles sur le marché de l’emploi, s’avère donc un enjeu majeur.
Des solutions telles que le compagnonnage, le tutorat ou les binômes intergénérationnels permettent de favoriser le passage du tacite à l’explicite.
Les enjeux de la transmission du savoir
Les impacts d’un savoir non transmis
La performance de l’entreprise
Un manque de formalisation ou de partage des connaissances peut affecter plusieurs aspects vitaux : la qualité des produits ou des services, la logistique, les délais de production, etc.
Cela peut entraîner une baisse de la satisfaction client, des problèmes liés aux certifications qualité et une hausse des réclamations ou des non-conformités.
Un turn-over élevé
La frustration des collaborateurs mal ou insuffisamment formés génère de l’absentéisme, du manque d’engagement, voire des démissions.
Pourquoi est-ce urgent d’anticiper ?
Sortir d’une gestion réactive et mettre en place des stratégies préventives répond aux enjeux liés à la transmission du savoir. À défaut, l’entreprise risque de perdre des compétences clés, entraînant une fragilité opérationnelle et un ralentissement de la performance à long terme.
Comment assurer la sauvegarde de la connaissance ?
Par la prise de conscience stratégique de la direction
Valorisation des savoir-faire uniques
La direction doit impulser la stratégie de transmission des savoirs afin de garantir la pérennité des compétences uniques à l’entreprise. Elle doit prendre conscience que ces savoir-faire, souvent développés sur des années, représentent un avantage compétitif indéniable. En effet, cette expertise ne se trouve ni sur le marché de l’emploi ni chez ses concurrents. Elle forge une identité forte et crée une différenciation essentielle pour l’organisation.
Gestion des risques
La gestion des risques liés à la perte de compétences impose une vision à long terme, loin des calculs de retour sur investissement immédiat. Ne pas anticiper ces risques entraîne des conséquences graves : perte de savoir-faire, démotivation des équipes, baisse de productivité et dégradation de la performance stratégique de l’entreprise.
Par la compréhension du système
Briser les silos organisationnels
Briser les silos organisationnels nécessite une communication fluide entre les différents services, tant verticale qu’horizontale. L’occasion de créer une véritable culture d’équipe, fondée sur le respect et la compréhension mutuelle. Chaque département doit prendre conscience de l’impact de ses actions sur les autres. Encourager le partage des enjeux communs permet de dépasser les barrières internes, favorisant ainsi une meilleure collaboration et renforçant l’agilité de l’entreprise. Cette approche évite l’isolement des équipes et stimule la cohésion autour des objectifs globaux.
Nourrir la culture d’entreprise
Partager les valeurs communes renforce l’attachement des collaborateurs à l’entreprise. Cela participe à un climat propice au transfert de connaissances, où chacun se sent acteur de la réussite collective. Cela passe par un savoir-être, respectant à la fois soi-même, les autres, les outils de production et les conditions de travail.
Le manager s’éloigne du micromanagement et joue un rôle clé : faire grandir les individus pour que l’ensemble du système en bénéficie. Un environnement où les équipes ne se mettent pas en mode « protection » ou « accusateur » favorise la dynamique collaborative indispensable pour sortir de la culture des années 70, centrée sur la production.
Le partenariat, le respect des besoins de l’autre et l’effet miroir permettent de comprendre des perspectives variées, essentielles à une collaboration harmonieuse.
Développer la curiosité
Cultiver la curiosité incite les collaborateurs à questionner et à s’intéresser aux métiers des autres services. Encourager une attitude proactive permet d’enrichir les compétences individuelles et de relier les objectifs des équipes à ceux de l’entreprise. Ainsi, l’organisation favorise une meilleure transmission des savoirs et renforce la collaboration et l’innovation.
Quelques actions concrètes pour pérenniser les savoirs
Des plans de formation efficients
Créer des plans de formation valides, à jour et adaptés implique de migrer de la gestion des personnes à celle des compétences. Collaborer entre services clés : ressources humaines, production, qualité permet de collecter et d’analyser les informations essentielles. Les RH doivent se rendre sur le terrain, comprendre les réalités des opérateurs pour répondre aux besoins des services et aussi des individus.
Des parcours de formation internes et externes
Les parcours de formation doivent s’adapter aux besoins de l’entreprise.
En interne, le tutorat, les binômes et le parrainage répondent à la problématique de la transmission de la connaissance. Ces systèmes supposent d’impliquer des collaborateurs expérimentés, parfois peu motivés à l’approche de la retraite.
En externe, l’investissement dans des centres de formation pour les nouveaux et futurs salariés est une solution mise en œuvre par certains grands groupes.
À l’embauche, réfléchir à long terme
Lors des recrutements, il convient d’adopter une vision longtermiste. Prévoir que les collaborateurs évoluent au sein de l’entreprise permet de bâtir un avenir solide.
Par exemple, l’organisation peut rechercher des techniciens et savoir que ses chefs d’équipes sont proches de la retraite. Dans ce cas, elle embauche des techniciens capables de devenir chefs d’équipe dans dix ans. Pour faciliter cette transition, elle les associe à des profils expérimentés.
Collecte et analyse des informations
Transformer le tacite en explicite nécessite la collecte et l’analyse des données souvent éparpillées dans les services. Il convient :
- d’identifier les sources de connaissance, qu’elles soient dans les têtes des experts ou dans les documents (engineering de la connaissance) ;
- de réaliser un état des lieux des savoir-faire intrinsèques (gestes experts) ;
- de formaliser le savoir par des référentiels de compétences.
Ces trois étapes préalables permettent, ensuite, de diffuser efficacement la connaissance.
Les signes précurseurs d’une connaissance qui se perd
Quelques exemples de signes précurseurs que l’organisation affrontera tôt ou tard les conséquences de la perte de son savoir.
- Absence de plan de formation structuré, validé et cohérent.
- Baisse de la productivité et hausse des réclamations ou non-conformités.
- Turn-over élevé, absentéisme et frustration des collaborateurs.
- Ressources humaines orientées sur la gestion des personnes plutôt que sur la gestion des compétences.
- Organisation silotée et sur-contrôle des processus.
- Pyramide des âges élevée.
- Tensions sur son marché de l’emploi.
- Management de gestion de l’urgence au détriment d’une vision à long terme.
En conclusion, face à la combinaison des crises économiques, des pénuries de compétences et des départs à la retraite, les entreprises doivent anticiper la perte de savoir-faire pour préserver leur compétitivité. La gestion proactive des connaissances, l’adaptation des processus et le développement d’une culture collaborative sont des leviers essentiels. Le manager de transition, fort de son intelligence systémique, intervient pour structurer cette démarche, guider les équipes et mettre en place les bonnes pratiques. Son rôle devient alors clé pour accompagner l’organisation dans ce virage stratégique et sécuriser son avenir.