Transition écologique : vers l’élaboration d’un nouveau modèle social en entreprise
La 3e édition des Débats d’aujourd’hui, Transformations de demain, a eu lieu le 15 septembre 2022 à La Maison des Océans à Paris, autour des implications de la transition écologique. Proposées par le Groupe Alpha[1] qui accompagne les acteurs privés comme publics[2] sur des enjeux socio-économiques et environnementaux, ces rencontres interrogent les traductions concrètes des transformations à opérer en entreprise, notamment. Avec, comme objectif, le partage de solutions pour « rapprocher » les différentes parties prenantes et relever ces défis – pour le bien commun.
Si la transition écologique a un coût, celui de l’inaction climatique serait nettement supérieur
Animée par Fabien Claire, directeur de la rédaction de News Tank RH, la 3e édition des Débats d’aujourd’hui, Transformations de demain a réuni 4 interlocuteurs de choix autour des enjeux de la transition écologique. Ont participé à ces échanges :
- Pierre Ferracci, fondateur du Groupe Alpha ;
- Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT) ;
- Eva Sas, députée Europe Ecologie – Les Verts (EELV) de la 8e circonscription de Paris ;
- Jean-Dominique Senard, PDG de Renault Group.
Chacun des invités a exprimé sa vision de l’impact de la transition écologique sur le plan économique, social et environnemental. La députée EELV de Paris, Eva Sas, a ainsi mis en perspective le coût de cette transition et celui « de l’inaction climatique, qui occasionnerait une perte de 3 à 4 points de PIB à l’horizon 2030 selon la Banque Centrale Européenne (BCE) ». Sachant que cette inaction aurait également des effets délétères sur la marque employeur et donc, en matière de recrutement ou de fidélisation des talents.
À l’inverse, la transition écologique devrait « rapporter de 1,5 à 2 points de PIB » au même horizon. Elle pourrait aussi créer de 300 000 à 500 000 emplois, tout en en détruisant d’autres. D’où l’importance, pour les territoires en particulier, de ne plus « dépendre d’une seule activité industrielle – comme l’aéronautique à Toulouse par exemple ». Sachant que des secteurs tels que « la rénovation thermique des bâtiments ou les énergies renouvelables », vont avoir besoin de candidats ! L’occasion, pour les salariés occupant des emplois peu qualifiés, de bénéficier de meilleures conditions de travail dans un nouveau métier. Reste, pour ces personnes, à être en mesure de se repositionner professionnellement.
Comment rendre « soutenables » les transformations d’envergure induites par la transition écologique ?
De leur côté, Pierre Ferracci et Philippe Martinez ont exprimé plusieurs points de vigilance. Ainsi, selon le fondateur du Groupe Alpha, il ne faut pas perdre de vue la principale ambition de la transition écologique : préserver une planète habitable par l’ensemble de la population mondiale. Une telle transition comporte une dimension économique certaine, avec « des enjeux de financement, de compétitivité, de R&D, et la conscience des limites de nos ressources naturelles ». Mais il faut également que la transition écologique soit JUSTE. Elle est donc indissociable d’une transition sociale. « Les Gilets jaunes ne sont pas moins désireux que d’autres de protéger l’avenir de leurs enfants ou petits-enfants. Mais ils se heurtent à des problèmes de pouvoir d’achat et d’emploi, de qualité du travail et de reconnaissance. » Or, la transition écologique engage de fait « l’ensemble du corps social ». Des propos qui orientent vers un traitement conjoint des défis sociaux et environnementaux, via une approche systémique et en associant tous les acteurs
Consulter et associer l’ensemble du corps social, tel est aussi le vœu du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. « Pour qu’une transition soit perçue comme juste, il faut convaincre. » Or, comment les décisions relatives à la transition écologique ont –elles été prises jusqu’à présent ? « En dehors des citoyens et des salariés. Une transition juste, c’est évidemment sauver la planète, mais c’est aussi (…) avoir de quoi vivre. » Dès lors, impossible de dissocier l’urgence sociale de l’urgence climatique. Les propositions des salariés peuvent d’ailleurs contribuer à une transition écologique « soutenable », comme le montre la réouverture de l’usine La Chapelle-Darblay qui produit du papier recyclé. Moyennant une diversification de la fabrication et des actions de formation, « avec l’aide de consultants et grâce à l’expertise des salariés, rejoints par la Métropole Rouen-Normandie et le consortium Veolia / Fibre Excellence », le site a été sauvé. Sachant que la papèterie emploie près de 230 personnes et, qu’avec sa fermeture, des milliers de tonnes de papier auraient été expédiées à l’étranger pour y être traitées.
Pour Pierre Ferracci, la transition écologique porte « un enjeu de démocratisation des choix, au niveau de l’entreprise, et de citoyenneté ». Elle donne l’opportunité de basculer dans un autre modèle social[3]. « La réflexion sur l’avenir de telle ou telle organisation et de ses salariés, se construit sur le terrain, avec les principaux concernés. En consultant les comités d’entreprise et CSE après avoir pris des décisions stratégiques, on arrive trop tard ! »
Quelle est l’ambition gouvernementale en la matière ?
Dans un message vidéo, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a tenu à rappeler que les « changements structurels majeurs » envisagés par la France s’inscrivent dans le cadre des objectifs européens – avec le « Paquet climat[4] » (Fit for 55). Elle a souligné l’importance de l’anticipation et de la planification pour faire face au « profond basculement » que l’industrie en tout premier lieu – notamment automobile – va connaître. « L’avenir est à la formation et aux reconversions professionnelles, à l’économie circulaire, au rétrofit, au recyclage des matériaux, au reconditionnement. » En matière de mobilité professionnelle toutefois, Pierre Ferracci estime que « le dispositif Transitions Collectives – TransCo [initié en janvier 2021, ndlr] est un échec flagrant, car trop coûteux et peu efficace » en raison de la multiplicité des acteurs impliqués.
Plus largement, les 4 piliers de la stratégie gouvernementale de transition sont la sobriété et l’efficacité énergétique, d’une part, l’accélération du déploiement des énergies renouvelables (biogaz, géothermie, photovoltaïque, éoliennes marines) et la relance de la filière nucléaire, d’autre part. Dans une perspective de sobriété, un plan de réduction de 10 % de la consommation d’énergie d’ici deux ans a été élaboré[5]. L’efficacité énergétique est visée en « décarbonant les processus de production dans l’industrie », et par l’abandon de la voiture thermique au profit du véhicule électrique. Soulignant que l’industrie automobile est « au cœur de ce combat », Agnès Pannier-Runacher a assuré les entreprises – et les Français – de la présence de l’Etat à leurs côtés.
Comment Renault Group a-t-il d’ores et déjà entamé sa transition ?
PDG de Renault Group depuis 2019, Jean-Dominique Senard a mis l’accent sur les projets technologiques, dotés d’une dimension écologique, portés par certaines entreprises dans les dernières décennies. Entre autres : « les pneus verts de Michelin[6] dans les années 1990, ou l’initialisation de la mobilité électrique par Renault ».
Désormais, en reprenant le concept d’une transition juste, il distingue trois dimensions : « le contenu de cette transition, son rythme et son anticipation ». Sur le contenu, Jean-Dominique Senard rappelle le virage pris par Renault dès 2019, avec la décision de « relocaliser » la valeur ajoutée en France. 9 voire 10 véhicules – en incluant la Micra de Nissan – seront produits dans l’Hexagone dans les années à venir. Pour ce faire, « 2 500 personnes seront recrutées, dont 2 000 ouvriers ». Le rythme est par ailleurs essentiel : dans l’industrie automobile, « le temps long est important ». La transition engagée concerne les 40 ans qui viennent ! Or, « les analyses d’impact, au niveau social notamment », sont parfois faites de façon incomplète. Cela nuit à l’anticipation. Quoi qu’il en soit, cet impératif s’impose aux responsables politiques comme aux dirigeants d’entreprises. Et la formation des salariés est au cœur de l’anticipation à opérer. Malgré le retard pris durant les 10 dernières années – il s’agit là d’une responsabilité collective – l’impulsion est lancée. « Chez Renault, 12 000 personnes seront formées d’ici 2025 à des métiers d’avenir. »
Aussi ambitieux qu’indispensable, le défi de la transition écologique combine les dimensions économiques, sociales, environnementales – et sociétales. Pour le relever, chaque partie prenante, à l’échelle de l’entreprise comme au niveau territorial ou national, doit s’engager en privilégiant l’intérêt commun. Sachant que les réflexions menées – et les actions qui en découlent – ont un impact direct, individuel et collectif, sur les actifs et salariés, les citoyens, les territoires, les États, et pour la planète entière. Faut-il rappeler que l’être humain n’est qu’un élément parmi d’autres de notre Terre ?
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[1] Fondé par Pierre Ferracci en 1983, le Groupe Alpha est composé de quatre cabinets d’expertise et de conseil : SECAFI, SEMAPHORES, TH Conseil et GVA.
[2] Le Groupe Alpha accompagne les représentants des salariés comme les dirigeants, les élus des collectivités ou l’État.
[3] Dans cette perspective notamment : consultez la tribune du dirigeant de CAHRA, Steven Poinot, sur notre blog.
[4] Fit for 55 : Ajustement à l’objectif 55 – une réduction d’au moins 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre de l’Union européenne par rapport au niveau de 1990 à l’horizon 2030.
[5] Comme l’a indiqué la ministre, il s’agit de la première étape vers une réduction de 40 % de la consommation d’énergie d’ici 2050, « à usages égaux ».
[6] Jean-Dominique Senard a présidé le groupe Michelin de 2012 à 2019.