De la vulnérabilité du top manager à la puissance collective
Êtres vivants par nature, les hommes et les femmes affrontent des situations de la vie difficiles. En cela, l’être humain est vulnérable. Le monde professionnel appelle à se montrer fort et à penser « performances ». Un dirigeant rencontre les mêmes difficultés de vie que n’importe qui. Accompagner la vulnérabilité commence par autoriser l’imperfection et les limites. Poser le sujet libère la parole pour un système agile, stable et viable. « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été », disait Camus. Soutenir, c’est écouter, faire preuve d’empathie et fournir un cadre de sécurité. En entreprise, une bonne gestion des vulnérabilités renforce le leadership.
Pascaline de Broissia, fondatrice de l’Équipage : coaching, conseil et formations spécialisés en vulnérabilités nous montre le rôle primordial des organisations, des managers et des équipes dans les cheminements imposés par les aléas de la vie.
Les vulnérabilités du top manager
Vulnérabilités personnelles
Divorce, deuil, dépression, parcours PMA, fausse couche, addictions, autant de traumatismes qui peuvent avoir un impact à la fois émotionnel, physique et organisationnel.
Chaque année, plus d’un collaborateur sur trois est touché par une situation qui le rend vulnérable. Les statistiques montrent que 20% des collaborateurs œuvrent, chaque année, comme proche aidant. Cet accompagnement, qu’il s’agisse d’un parent vieillissant, d’un enfant malade ou autre, occupe en moyenne huit heures par semaine.
Arthur Sadoun notamment a pris la parole pour briser le tabou du « dirigeant malade du cancer » . Un top manager qui subit de lourds traitements doit concilier son travail et le bouleversement de sa vie (fatigue, séances de thérapie, etc.).
Les vulnérabilités inhérentes à l’organisation
Parmi les causes de stress au travail, deux facteurs prédominent et peuvent mener à l’épuisement, voire au burn-out.
- La solitude décisionnelle : le sentiment d’isolement face aux responsabilités.
- Les injonctions des investisseurs qui interfèrent avec les visions stratégiques claires des dirigeants et autres CODIR.
L’impact des vulnérabilités du top manager
Sur ses équipes
La baisse de performances, où qu’elle se situe dans le système, se répercute sur l’ensemble des services. Dans notre société basée sur les résultats, toutes les ressources sont déjà optimisées. Les équipes n’ont aucune marge de manœuvre pour accueillir le besoin.
Ce contexte tendu peut engendrer des démissions de collaborateurs qui se considèrent incompris, qui ont absorbé une surcharge de travail et se sentent au bord de l’épuisement professionnel ou qui ont entendu des paroles maladroites, blessantes.
Une organisation agile gagne en robustesse.
Sur l’entreprise en général
Comprendre, accompagner et soutenir les managers en situation de vulnérabilité, c’est préserver le capital humain pour une performance durable. À défaut, l’entreprise connaît arrêts maladie, baisse de son e-réputation, démissions, démotivation, etc.
Elle peut perdre ses différents potentiels :
- la personne en situation de vulnérabilité (manager ou collaborateur) ;
- son N+1 qui veut bien faire mais, dépourvu d’outils, se sent impuissant et affecté émotionnellement ;
- tout autre salarié qui ne résiste pas à l’ambiance délétère.
Les bénéfices de la transparence comme acte managérial : derrière les failles, les pépites
Pour le manager en situation de vulnérabilité
Partager sa vulnérabilité montre son humilité : « je suis humain, je ne sais pas tout ». Cette attitude permet de se connecter aux autres, d’exprimer son besoin de collaborer. La transparence casse l’image du manager surpuissant et normalise l’imperfection.
Afficher sa vulnérabilité, c’est aussi assumer que l’on ne peut pas être expert dans tous les domaines. Le top manager est le chef d’orchestre de son équipe et non un professionnel de chaque métier supervisé. Des études Google montrent que sa plus-value réside dans sa capacité à faire travailler les hommes et les femmes ensemble.
Pour ses équipes
Exprimer sa vulnérabilité reflète une grande vérité qui facilite le partage. Cette sincérité renforce la confiance entre le manager et ses collaborateurs.
Si une personne fragilisée trouve sa place dans l’entreprise, c’est l’ensemble du système qui en est témoin. Chacun comprend alors que dans une situation similaire, le collectif lui accorderait cette même valeur. À l’inverse, chacun réalise qu’il ne pourrait pas en parler.
Accompagner les vulnérabilités vers un leadership authentique
Accompagner les vulnérabilités, c’est rendre le système robuste : stable (sur le court terme) et viable (sur le long terme).
Le rôle de la Direction
Autoriser le sujet : lever le tabou
Certes, une organisation peut considérer que les vulnérabilités restent personnelles, à la porte du bureau. Dans ce cas, elle se ferme sur elle-même. À l’inverse, s’ouvrir, anticiper et communiquer développe l’agilité donc la robustesse.
Éveiller, c’est déjà reconnaître l’existence du sujet.
Les actions concrètes
Concrètement, l’entreprise peut donner les moyens aux lignes managériales de s’informer sur le sujet de la vulnérabilité, de développer son écoute et son empathie.
Elle peut, par exemple, former les équipes des ressources humaines et s’appuyer sur la médecine du travail.
Au-delà du bénéfice humain, les organisations, en travaillant ces sujets, anticipent les exigences règlementaires. L’État responsabilise les entreprises et les encourage à devenir acteurs, notamment sur le thème des proches aidants. Ainsi, prendre en charge ce soutien dès aujourd’hui est une manière de choisir une position qui fait sens avec leur stratégie et non pas de subir une demande.
Le rôle des managers pour gérer la vulnérabilité
Libérer la parole
Statistiquement, tout manager connaîtra un collaborateur en situation de vie difficile. Un accompagnement lui apprend à montrer ses limites. En cela, il devient modélisant.
À ce jour, seule une personne sur deux ose annoncer à son employeur qu’elle est malade du cancer. Peur d’être mise de côté, de subir un regard différent, etc.
Non informé, le N+1 peut croire que le collaborateur est démotivé, lui reprocher ses absences régulières, voire le sanctionner pour son comportement. Alors que face à lui se trouve un salarié qui donne son maximum malgré son état de fatigue. À savoir que certains posent leurs RTT pour leurs séances de chimiothérapie. Cet énorme décalage entraîne maladresses et incompréhensions.
Tenir compte de l’unicité de chacun
Chaque situation est unique, chaque collaborateur attend une aide différente. Sans formation, le N+1 n’ose pas questionner, craignant d’être maladroit. En coaching, il apprend à discerner les mots qui cassent de ceux qui renforcent la relation.
Prenons l’exemple d’un collaborateur qui perd un proche. Qui doit assister aux obsèques ? Certains apprécient la présence des collègues tandis que d’autres préfèrent scinder les relations personnelles et professionnelles.
L’accompagnement dans la durée
Qu’il s’agisse de proches aidants, de maladie ou d’épuisement professionnel, la situation de vulnérabilité dure plusieurs mois. Or, souvent la vigilance s’amenuise avec le temps. Parfois, c’est même « après coup » que le besoin est le plus pressant. Être guéri, par exemple, ne signifie pas ne plus avoir besoin d’aide. La vulnérabilité modifie l’être humain. L’accompagnement consiste aussi à accepter la personne telle qu’elle est devenue.
Le management de transition : une réponse opérationnelle aux turbulences
Le manager de transition peut être appelé quand le dirigeant est malade ou affronte des événements de la vie. Avoir à l’esprit ces vulnérabilités et savoir comment les soutenir dans la durée fait partie intégrante de son rôle.
L’intelligence émotionnelle, l’empathie et la capacité à communiquer dans un climat complexe, face à des situations tabous, sont de vrais atouts qui marquent sa singularité. La fine compréhension du sujet permet au manager de transition de garder sa juste place, sans se positionner comme « sauveur » ni tomber dans l’ingérence. Il fait appel à la confiance en soi, à la résilience et à l’authenticité de la relation.
Le manager de transition aide la personne en situation de vulnérabilité et le collectif à identifier leurs besoins. Ensemble, ils imaginent des réponses possibles, ils co-construisent des pistes d’ajustement pour surmonter les périodes incertaines.
Conclusion
Pascaline de Broissia termine par la métaphore de la résilience et de l’art du Kintsung. Lorsqu’un vase est cassé, on recolle les morceaux, on sublime les traces des failles par des feuilles d’or et on vernit l’ensemble. Le vase réparé apparaît alors plus beau qu’il n’était à l’origine. Sans poser cette progression comme injonction, constatons que d’accepter et d’accompagner les vulnérabilités de chacun rend plus fort tant la personne touchée que l’aidant. L’organisation entière en ressort plus robuste et durable. Le manager de transition intervient à la juste mesure pour aider le roseau à plier, sans se briser comme le ferait le chêne.
Merci infiniment à Pascaline pour cette interview qui éclaire un sujet encore trop tabou. Une situation pourtant universelle que le manager de transition maîtrise pour plus d’humanité et de coopération.
💡 La vulnérabilité est un sujet universel. Elle est différente de la faiblesse qui signifie manque de force et de vigueur physique, définition qui déjà pose un jugement.